Pas de vraie Séance du mercredi autour de Noël. Mais puisque je vois dans la presse se multiplier les bilans et les regards rétroviseurs, j'ai envie d'en faire autant et de revenir sur mes coups de cœur de cette année cinéma assez riche. Je n'évoquerai pas les films que j'ai méprisés, donc pas de Kad ou Gad ou Dany B ici. Que les laides affiches de leurs produits périssables restent à leur place : enroulées dans les toilettes.
Le sentiment dominant (en ce qui me concerne) quand je retourne en cet arrière, c'est le peu de films que j'ai pu voir, la difficulté à voir les films quand on ne se précipite pas. Que de regrets d'avoir raté Les herbes folles, Non ma fille tu n'iras pas danser ou Winnipeg mon amour et tant d'autres, La religieuse portugaise, Les démineurs, Kinatay, Singularités d’une jeune fille blonde... En revanche, c'est volontairement que j'ai négligé Un prophète, qui revient dans le Top Ten d'à peu près tout le monde mais, désolé, je n'aime pas plus le cinéma du fils que les bon mots du père Audiard.
Mes choix seront donc, comme tout ce qui est écrit sur ce blog, tout à fait subjectifs et ne négligeront pas une subtile pincée de parti-pris. Donc...
MES FILMS DE L'ANNÉE
J'ai voulu privilégier le classicisme et la recherche, un cinéma "grand public" mais non populiste et un cinéma plus intime, mais non-élitiste. Car ces quelques mots en gras définissent assez bien le cinéma que j'aime et que j'aime défendre.
Classement 2009 en musique si vous le voulez bien. Car c'est à l'exacte seconde où, au démarrage du générique d'Inglorious Basterds, j'ai reconnu les premières notes de la majestueuse et mélancolique mélodie écrite par Dimitri Tiomkin pour The Alamo (John Wayne, 1960), que je suis entré dans le film comme dans quelque chose attendu, désiré depuis longtemps, que je m'y suis fait une petite place pour pas bouger et profiter pendant deux heures. Une sorte de rêve de cinéma, une chose improbable par laquelle le cinéma engloutirait le monde. Tarantino se réclamait donc du parrainage du (très) grand film de genre hollywoodien. Pour Alamo, en effet, qui était sa première grande réalisation, Wayne s'était appuyé sur les conseils des vétérans John Ford et Howard Hawks (Ford a d'ailleurs dirigé certaines scènes que Wayne ne sentait pas). Donc, les Basterds débarquent sur l'écran et les premières notes de The greensleeves of summer retentissent dans le Grand Action et très vite, rien qu'au traitement subi par la musique, on sent, on sait que Tarentino sera "fils de", mais pas un fils respectueux, un putain de fils indigne et que le film va se servir de l'Histoire du cinéma pour faire du... Tarentino. Ça tombe bien, c'est ce qu'on était venus chercher.
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A mon humble avis, les réalisateurs dominants sont aujourd'hui Clint Eastwood, David Lynch et Pedro Almodovar, ainsi qu'une poignée de cinéastes asiatiques (ce n'est pas par ostracisme que je ne les cite pas, j'attends qu'ils montent vers le haut de l'affiche). Or Almodovar (contrairement à Lynch) a proposé cette année un film extrêmement intéressant. Étreintes brisées, film sur le cinéma, sur la difficulté de tourner ou d'avoir tourné (un cinéaste perd la vue dans un accident de voiture et son film est saboté par son producteur et ami) est certes un très bon film. Mais je n'ai pas cette fois senti la forêt de l'angoisse se resserrer sur moi, je n'ai pas été assailli par la nuée des insectes du remord, les larmes de la vie qui braque du mauvais côté n'ont pas jailli. Mais c'est peut-être un truc entre ce film et moi, ou c'est juste ce soir-là, un manque de réceptivité, bref : voyez Étreintes brisées, achetez le DVD ou volez-le ! Mais il ne figure pas dans ma liste.
Quelques commentaires sur mes choix ?
D'abord, ils sont personnels. Le fait que mes trois premiers films soient aussi ceux de Serge Kaganski (des inrocks) tient à un heureux hasard ou encore à une agréable proximité d'esprit. Ensuite (Ô bonheur narcissique...), je constate que le classicisme au cinéma m'attire toujours. Quoi de plus neuf et fragile, en raison de sa disparition progressive, que l'âge classique du cinéma. L'esprit de Ford, Hawks et Siegel souffle un air frais sur le monde de Clint Eastwood qui, avec les ans, ne se refuse plus rien, ose tout ce qui coince les culs consensuels. A l'opposé de l'académisme que je crois déceler chez Cameron, qui semble avoir refait cette année, avec d'autres moyens, le film qu'on a déjà vu 100 fois, Gran Torino se paie l'Amérique moyenne et la bobine du grand Clint lui-même, qui n'était jamais allé aussi loin dans l'auto-caricature, voire l'auto-destruction. Clint Eastwood aura passé la seconde partie de sa fabuleuse carrière à casser tous les jouets consensuels qui composent sa première partie. Gran Torino est une sorte de synthèse destructive des années "faciles" de Clint (qui comporte d'ailleurs un nombre impressionnant de pépites), celles où il n'était un classique hollywoodien qu'en devenir.
Le classicisme de Bellochio est différent. Son cinéma "total", en forme d'Opéra rappelle celui d'Abel Gance appliqué à un autre dictateur, Napoléon Bonaparte. De quelque côté qu'on le prenne, Vincere est un absolu chef d'œuvre, qui nous raconte l'Histoire à travers les évolutions d'une salle de cinéma et aborde le fascisme côté cuisine et chambre à coucher. Trois autres films de ma sélection peuvent se réclamer du cinéma classique : Le ruban blanc, Dans la brume électrique et L'armée du crime.
Sur le même thème que Guédiguian, la résistance armée au nazisme, Quentin Tarentino utilise les codes du cinéma classique pour les subvertir, comme il subvertit au passage l'Histoire. Après une exposition du thème digne de Sergio Leone (Il était une fois la Corrèze), il s'empare de tous les genres cinématographiques pour réaliser le projet le plus ambitieux de l'année, projet qu'il a porté en lui, d'ailleurs, pendant plus de dix ans. Et c'est peu de dire que son film est explosif, car c'est le cinéma et le nazisme qui sont emportés dans une déflagration à multiples détentes. Pour moi, c'est LE film de l'année, mais je n'ai pas osé le dire à Clint...
Au-delà de l'âge classique, 2009 nous a donné à voir le cinéma en pleine réinvention. En dehors de Ponyo, magnifique dessin animé Fait-main, à conseiller aux enfants et aux rêveurs de tous âges, les autres films de mon modeste palmarès, révèlent un cinéma en quête de grammaire, de sens, de forme. Le plus radical est Hadewijch de Bruno Dumont, qui aurait pu être mon film de l'année (mais je n'ai pas osé le dire à Clint et Quentin). Bruno Dumont, Alain Cavalier (Irène), Tsai Ming Liang (Visage) Andrea Arnold (Fish Tank), Philippe Garrel (La frontière de l'aube) et Jim Jarmusch (The limits of control) sont des passeurs au sens où Jean Cocteau, pouvait passer d'un monde sensible à un autre en franchissant un simple miroir. Ils nous donnent à voir un monde qui est le nôtre, mais vu par eux et ce n'est pas toujours facile d'accepter le regard d'un autre sur ce qui semblait familier. Ainsi du Louvre de Tsai Ming Liang : c'est bien le Louvre, mais ça devient un avatar (le mot est à la mode) de la représentation sensible, esthétique, du réalisateur. Nous n'avions jamais observé une pastèque coupée en deux comme Alain Cavalier nous la donne à examiner, ni sans doute un téléphone filaire ou une caméra vidéo.
Ces passeurs sont des artistes qui, par leur cinéma, selon l'expression bien connue d'André Bazin (citée par Godard dans le générique du Mépris), "substitue(nt) à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs."
Sachons accorder notre regard à ce monde et exiger du cinéma infiniment plus qu'un divertissement. Fût-il en 3 D.
LES TRÈS BONNES SURPRISES
Cadeau, la BA de Violent days, pour la beauté de son actrice et vous donner une idée de ce noir et blanc :
LES AFFICHES DE L'ANNÉE
Je ne choisis pas, ces affiches ont toutes "quelque chose", quelque chose qui me donne des envies de cinéma.
Une des 30 affiches du film. Ici, quelque peu BDSM.
Elles sont belles ces affiches. Elles disent des choses. Elles ne méprisent pas le public, ne le transforment pas en clients. Désolé d'en avoir oublié.
LES ACTEURS
Les acteurs de l'année seront pour moi des actrices, que je classe en deux catégories, pro et non-pro.
Je voudrais citer des actrices que j'ai vraiment aimées. Ainsi Florence Loiret-Caille, avec son nom en point d'interrogation est le principe charmant d'Au voleur, qui pourrait être, sans elle, un film social un peu cynique. Elle a joué aux côtés de Vincent Gallo, pour Claire Denis (Trouble every day en 2001) et a tourné gratuitement pour Amnesty International. Photos :
dans La dame de trèfle (à venir)
dans Au voleur avec Guillaume Depardieu
Laura Smet aussi. Vivante, charnelle, absente, apparition, elle fait mentir ses origines par son talent. Photo :
Avec Louis Garrel dans La frontière de l'Aube
Mais L'Actrice de l'année, dans la catégorie pro, celle qui nous trouble, nous émeut, nous déchire, nous séduit et délivre la promesse d'une carrière exceptionnelle, celle qui joue la passion à la folie et qui jouit la folie en pasionaria, c'est Giovanna Mezzogiorno, la femme séduite, ruinée, puis abandonnée par le Duce dans Vincere. Une vraie nature est née.
Photos :
dans Vincere
Ailleurs
Dans la catégorie non-pro, j'aurais bien mis en avant Katie Jarvis, la solitaire, provocante et, au final, un peu exaspérante Mia de Fish Tank. Découverte sur un quai de gare par sa réalisatrice, elle joue merveilleusement mal et en fait ne joue pas, sauf qu'elle donne l'impression de jouer sa vie à chaque plan. Je lui préfère néanmoins la lumineuse Julie Sokolowski, la Céline d'Hadewijch, folle de Dieu, à la fois réminiscence de Mouchette et jeune fille dans son temps. Virée de son couvent en raison d'une foi trop dévorante, elle fut choisie par Dumont car non-croyante et absolument pas intéressée par le métier d'actrice. Alors, elle peut se permettre d'être mieux que les autres, puisqu'elle ne se met pas en concurrence. Et elle est absolument bouleversante, elle est la Renée Falconetti, léchée par les flammes, de Dreyer (La passion de Jeanne d'Arc), elle est Anne Wiazemski de Bresson (Au hasard Balthazar), elle est Sandrine Bonnaire pour Pialat (A nos amours), elle est un principe qui tient de la pesanteur des corps (très physique et, d'ailleurs, très belle) et de la vapeur spirituelle.
Photos :
Katie Jarvis dans Fish Tank
Julie Sokolowski dans Hadewijche
Elles sont belles en plus.
LE GÉNÉRIQUE DE L'ANNÉE
On ne comprendra jamais la stratégie de communication des financiers qui possèdent le cinéma américain. Le générique (de début) des Watchmen est absolument magnifique. C'est un film dans le film qui revisite l'Histoire, la grande, à partir de ce que nous ne savions pas des Super Héros. C'est fort et beau, nostalgique et rebelle, absolument virtuose et Warner Bros en a fait interdire la reproduction, sauf sur Youtube.
J'aurais aimé vous présenter ce générique, qui nous dit, sur une musique de Bob Dylan, ce que le monde a réellement vécu, depuis les années 40, grâce et avec les Watch(wo)men, mais comme c'est interdit, je vous file juste le lien.
Pour ceux qui ont raté le film, ou pour les autres qui ont envie de se replonger dans ce monde sombre mais désirable (comme une alternative au nôtre, un brèche fulgurante de l'espace-temps), CLIQUER ICI.
LES FILMS PRÉFÉRÉS DE LA PRESSE QUE JE LIS HABITUELLEMENT
Tous les titres n'ont pas fait connaître leurs choix Je complèterai au fur et à mesure. Je rougis (de plaisir) les titres que j'ai également sélectionnés.
1. Les Herbes folles , Alain Resnais
2. Vincere , Marco Bellochio
3. Inglourious Basterds , Quentin Tarantino
4. Gran Torino , Clint Eastwood
5. Singularités d’une jeune fille blonde , Manoel de Oliveira
6. Tetro , de Francis Ford Coppola
7. Démineurs , Kathryn Bigelow
8. Le Roi de l’évasion , Alain Guiraudie
9. Tokyo Sonata , Kiyoshi Kurosawa
10. Hadewijch , Bruno Dumont
Les choix de Télérama, consensuels et pas très courageux (Welcome, et puis quoi encore... Rose et noir ?)
Palmarès des lecteurs
1. Welcome, Philippe Lioret
2. Le Ruban blanc, Michael Haneke
3. Gran Torino, Clint Eastwood
4. Un prophète, Jacques Audiard
5. Inglourious Basterds, Quentin Tarantino
6. Slumdog Millionaire, de Danny Boyle
7. Whatever works, Woody Allen
8. Harvey Milk, Gus van Sant
9. Dans la brume électrique, Bertrand Tavernier
10. Etreintes brisées, Pedro Almodóvar
11. Les Noces rebelles, Sam Mendes
12. La Journée de la jupe, Jean-Paul Lilienfeld
13. Looking for Eric, Ken Loach
14. The Reader, Stephen Daldry
15. Good Morning England, Richard Curtis
Palmarès de la rédaction
1. Inglourious Basterds, Quentin Tarantino
2. Un prophète, Jacques Audiard
3. Whatever works, Woody Allen
4. Les Herbes folles, Alain Resnais
5. Vincere, Marco Bellocchio
6. Le Ruban blanc, Michael Haneke
7. Non, ma fille, tu n’iras pas danser, Christophe Honoré
8. Harvey Milk, Gus van Sant
9. Still walking, Hirokazu Kore-Eda
10. Adieu Gary, Nassim Amaouche
11. Mary et Max, Adam Elliot
12. Irène, Alain Cavalier
13. L’Etrange Histoire de Benjamin Button, David Fincher
14. Welcome, Philippe Lioret
15. Le Temps qu’il reste, Elia Suleiman
Je pense vraiment que le rachat par le groupe Le Monde ne sied pas au sens critique des gens de Télérama.
1. Inglourious Basterds, Quentin Tarantino
2. Funny people, Jude Apatow
3. Tokyo Sonata , Kiyoshi Kurosawa
4. Hadewijch , Bruno Dumont
5. Le Roi de l’évasion , Alain Guiraudie
6. Twillight 1 & 2, Catherine Hardwick et Chris Weitz
7. Les Herbes folles , Alain Resnais
8. Singularités d’une jeune fille blonde , Manoel de Oliveira
9. Irène, d’Alain Cavalier
10. Non, ma fille, tu n’iras pas danser, Christophe Honoré
10. Les beaux gosses, Riad Sattouf
12. La fille du RER, André Téchiné
13. Inland, Tariq Teguia
14. L’Etrange Histoire de Benjamin Button, David Fincher
15. Bellamy, Claude Chabrol