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Les transmissions pour le passage d’équipe ce déroule au pavillon 14a. La cadre du service fait un laïus sur les défaillances de sécurités : les rasoirs qui ne sont pas nominatifs, les portes que l’on retrouve ouvertes, alors qu’elles ne devraient pas… Reposant en épouvantail les deux pauvres soignantes de Pau, massacrées par le sabre vengeur d’un psychotique téléguidé… Tout le monde hochait de la tête en signe de compréhension, l’air grave, lorsque Sylvie ouvrit la porte du bureau en trombe : « Ah c’est pas vrai ! Vous sentez l’odeur dans le couloir ? On peut suivre à la trace Fabien, il en a foutu partout ! ». C’était son cadeau envers toutes ses mamans. Sauf que le gros bébé de 80 kilos ne mettait pas de couche, il ne l’aurait pas gardé longtemps, détestant tout ce qui touchait son corps… Quand Fabien était mécomptant à l’occasion d’une raison obscur, ses selles, il les mangeait. Elles préféraient de loin sa coprophagie…
« N°3 égal à lui-même; N°4 transsexuel en perte d’identité; N°7 diarrhée verbale; N°9 en pré D.T. ( délirium trémens ); N°10 pervers sexuel, faire gaffe avec la petite N°2; N°14 visite des parents, l’un des seul qui a cette chance; N°17 sous la douche ! Mais avant, on va se prendre un petit café… »
Au 14a les journées s’écoulaient lentement. Il n’y avait absolument rien à faire, autant pour les patients que les soignants qui trompaient d’ailleurs l’ennuie en lisant le journal ou en surfant sur internet et les sites de rencontres… Les psy. c’était pareil, ils ne prenaient même plus la peine d’écrire des comptes rendus construits. Le schémas était tellement connu pour certains, qu’ils dessinaient leur parcours à l’avance : Alcoolisation massive = « Urgences » > placement en H.O. au 14a > cure de désintox > Levé d’H.O., retour à domicile > « Urgences ». Un grand « spleen » planait sur les équipes, ils savaient pertinemment n’être que des « gardiens de prison » améliorés. L’une des infirmières éclata en sanglots un jour, disant qu’ils ne faisaient pas les choses « bien ». La cadre lui expliqua qu’elle ne pouvait pas les sauvés d’eux-mêmes, qu‘il fallait prendre cette fameuse « distance thérapeutique » … Elle compris, et parti se faire embaucher aux Urgences, en amont de la chaîne en somme…
Dehors, sur la terrasse entourée d’un grillage vert de 2 mètres 50 de haut, une patiente du nom de Madame Tellini entama la discussion avec Sylvie : « dans mon pavillon, ils ont un « ergo » en sous-sol. On peut y aller et faire des activités. J’ai l’impression qu’ils sont plus nombreux que vous ».
- Ah bon ?! Celui qui est en face ? Je ne savais pas… C’est vrai qu’on s’ennuie un peu ici. Mais il y a des jeux de société si vous voulez ?
« Ouais, mais ce n’est pas comme dans mon pavillon… Pourquoi est-ce que vous rigolez ? »
- Non, pour rien, mais je note que vous dites « mon » pavillon, comme si c‘était chez vous…
« Vingt ans que j’y viens par intermittence, je sais que ce n’est pas glorieux… Mais quelque chose me dit que je ne reviendrais pas. Une force, la force de résister à la tentation… »
- 3.9 c’est tout de même élevé comme alcoolémie… J’en connais peu qui pourrait résister à une telle dose… Un verre pendant le repas ca va, mais…
« Ah ! Vous avez lu mon dossier… Je croyais que c’était 3.5 gr/L… »
- Peu importe les chiffres, c’est énorme !
« Hum… J’en étais à une bouteille de Gin par jour, alors peut-être… »
- Vous ne pensez pas qu’il faudrait casser cette chaîne vicieuse d’autodestruction ? On vous a déjà proposé d’aller aux « Alcooliques anonymes » ?
« C’est plus un lieu de rencontre, qu’autre chose… »
- Comment ca ?
« Hé bien des couples ce forment quoi… Et puis certains viennent bourrés… Les groupes ne sont pas encadrés, c’est-à-dire qu’ils n’y a pas de professionnels qui dirigent les débats. Mon parrain a rechuté… alors vous voyez…»
- A ce point ? Vous ne trouvez pas de soutiens dans l’histoire des abstinents ? L’entre aide doit exister ?
« Un baisodrome je vous dit ! Je le sais, j’ai suivi le groupe plus de trois mois… »
- Vous connaissez les problèmes de santé que ca engendre ? J’ai vu des personnes complètement détruites par cette drogue ! Oui, c’est légale… Mais il n’empêche…
« On m’a dit que je pouvais avoir « korsakoff ». Les gens perde la tête, ils sont diminués… »
- Il n’y a pas que cette forme d’Alzheimer avant l’âge… Vous pouvez perdre vos dents, avoir des cancers de la mâchoire, du pancréas… Une hépatite !
« Ca fait réfléchir tout ce que vous me dites… On fait un Rummikub après votre cigarette ? ».
Souvent, lorsque son corps la laissait en paix, non sujet aux affres des excès; elle se disait en elle-même :« qu’il était doux de vivre sans douleurs… ». Réflexion ayant en échos les ordres dans le ton haut d’un aide-soignant décrivant la façon de se laver à Monsieur Montanari. Son reflet englobait le buste lacéré de sa critique esthétique. « Qu’est-ce qu’on fait dans une douche à votre avis ? On ce l-a-v-e-e-e… ».
- Oui, c’est ca, oui… et qu’est-ce que je fais maintenant ? Demanda l’invertébré sans volonté.
« Oh ! Mais ce n’est pas possible. Tu le crois ca ? », il posait la question à son collègue. Celui-ci sourit, et ce mit à le caricaturer devant trois autres patients attendant leur tour à l’extérieur : « d’abord on savonne la tête, puis les épaules, le buste, la zigounette et on descend jusqu’aux doigts de pieds, okay ? ». Monsieur Nechiche rigola en faisant « gilli gilli sur la teub ».
- C’est dure le matin, putain ! Frédéric balança une serviette sur la chaise de la salle des douches et dit qu’il alla faire le petit déj‘…
Chez les « dames », elle entreprit un rasage précis. N°10 lui avait prêté un « Bic» dans l’espoir qu’elle lui montre son maillot… Les hommes sont tellement sûr de leur pouvoir de séduction… D’abord de façon frénétique elle essaya de modeler sa face, comme le ferait un sculpteur sujet à une transe créatrice. Elle tirait, puis raccourcissait son front, ses pommettes; ceci afin de trouver le meilleur angle… Après quelques hésitations, elle en vint à inciser ses deux arcades sourcilières. Ca pisse le sang ses choses là… L’image qualité que voulait donner au service la cadre, devrait en prendre un coup… Satisfaite, elle aurait pu continuer son travail, si son cortex cérébral ne s’était pas mis à « court-circuiter » pour cause de sevrage au Rivotril. Elle ne vit pas son corps convulser sous l‘effet des décharges épileptiques, ni le soignant la prendre dans ses bras, veillant à se qu’elle n’avale pas sa langue… Un moment magnifique, malheureusement effacé…
Dans la cuisine du 14a, les soignants discutaient de son cas. Ils y voyaient une nouvelle étape dans le processus pathologique. L’une d’elle intervint intelligemment et posa : « Son corps est totalement lacéré, et maintenant elle commence à attaquer son visage. Je pense que ce n’est pas anodin. Le visage est l’image que l’on donne au monde, c’est la première des choses que l’on voit. A mon humble avis, il y a négation complète de son corps, et de sa personnalité. Le passage à l’acte est plus que probable… »
Frédéric parla la bouche pleine de pain beurré : « Franchement, si je l’avais rencontré dans la rue, je me serais retourné… C’est flippant de voir à quel point les personnes ne semble pas êtres se qu’elles sont en réalité… »
- Toi, tu es marié, t’as un crédit immo. et un gamin de huit mois sur le dos. Lui lança un collègue en travers de la porte de la salle à manger…
Ce midi, il y avait omelette et œufs à la béchamel. Fabien était dans les pires dispositions possible et enfonçait le mur avec son casque. Lui donner sa pitance mouliné était à haut risque pour les blouses blanche… Tout ce petit monde caché aux regards de la population dite « normale », se restaurait dans des conditions exécrables. Personne ne parlait, certains hurlaient. Avoir en face de soit une Yvonne simulant l’orgasme avec la table ou un pauvre bougre dont les myorelaxants laissaient la langue pendante, donnerait aux mets les plus fins un arrière goût de merde.
La chambre d’isolement comptait quatre pieds en la parcourant. La hauteur sous plafond d’approximativement trois mètres. Verres en plexiglas renforcé pour la porte, même chose pour la seul fenêtre qui donnait sur un extérieur flouté munie de barreaux. Lorsque l’on vous met à l’isolement, aucune affaire personnelle n’est autorisée. Vous avez droit à un pyjama confectionné dans une matière synthétique impossible à utiliser pour se pendre, ( il est déchirable très facilement ). Au contraire de la couverture dite de « force » devant peser au bas mot une dizaine de kilos.
Le temps disparaît, non seulement parce que vous n’avez plus de montre, mais également à cause des neuroleptiques et autres benzodiazépines que l’on vous fait prendre de gré ou de force, qui vous mette en « vrac ». La méthode a été validée par certains régimes fascistes pour asservir l’esprit des dissidents… Les patients en viennent souvent à se parler à haute voix pour y trouver un ami. De là à croire qu’il ne sont pas stabilisé et qu’il faut augmenter les doses, il n’y a qu’un pas… Franchis communément.
On a une éternité pour réfléchir dans une chambre d’isolement. Les sons provenant du couloir sont tolérables, car ils prouvent l’existence d’une forme de vie au dehors. On se réconforte de peu. Les soignants ne viennent que trois fois par jour pour les constantes, en apportant le repas et les médicaments. Mais il y en a un qui restait parfois de longues heures en sa présence. Il était différent des autres, parce qu’il était habillé en civil. Les premiers jours il ne bougea pas, il attendait surement le meilleur moment. Dans un coin de la pièce, il l’observait. La promiscuité avec cet homme lui faisait du bien. Au fur et à mesure, il avançait dans la familiarité. Venu jusqu’à son chevet, il s’assit enfin et lui entoura les épaules d’un geste protecteur. Le dialogue a pu donc s’ouvrir en confiance. Il usa d’un ton empathique, et dit :
« Tu as oublié plus d’informations, que d’autres n’en eut appris en une vie. Mais il n’est plus nécessaire de ce faire du mal pour se souvenir. »
- Je me rappelle… A bien des égards ce confinement ressemble à la cave de mon enfance. Combien d’heures ai-je pu rester reclus en l’attendant ? Ce n’était pas l’acte en lui-même qui me faisait horreur, mais son anticipation…
« Ce n’est plus qu’une ombre. Cesse de trembler et soit un homme ! »
- Monsieur sera toujours présent, peu importe la forme qu’il endosse. J’aimerais m’arracher la peau et en mettre une autre…
« Tu n’étais pas responsable. Il avait l’ascendant en tant qu‘adulte et médecin de famille »
- Mon dieu, qu’ai-je fait !
« Mais voila, tu es doué d’un libre arbitre, et rien n’était écrit à l’avance. Tes actes de contritions ne peuvent t‘absoudre. Combien de crimes commis en son Nom ? … »
- Martyriser ma chaire n’a donc pu travestir mon âme… Pourquoi n’as-tu pas réfréné mon appétit ?
« Siegfried, souviens toi… Tu m’as mangé ! »