Fournir de l'eau potable, des aliments suffisamment nutritifs, ou encore des chaussures décentes. De bien belles intentions qui ne sont pas le fait de quelque gouvernant éclairé, mais de grandes entreprises multinationales. Depuis cinq ans, les géants comme Danone, Veolia ou récemment Adidas affichent des ambitions sociales et élaborent des produits à destination des clients pauvres, une catégorie traditionnellement ignorée des stratégies marketing.
Dans le jargon, on les appelle les "BoP", ou "bottom of the pyramid" (bas de la pyramide), en référence aux foyers aux revenus les plus bas, qui vivent le plus souvent dans les pays en voie de développement. L'expression a été popularisée en 2004 par l'économiste C.K. Prahalad pour qui les 4 milliards d'êtres humains qui vivent avec moins de 2 dollars par jour constituent un vivier de consommateurs inexploité par les entreprises.
L'idée n'est pas nouvelle. Mais, comme l'explique Rodolphe Vidal, économiste et ingénieur de recherche à l'Essec, depuis la crise financière, "on en est à un stade où les entreprises sont mises en cause dans les pays du Nord. Or les produits BoP participent à l'idée que les entreprises peuvent faire du bien".
Un leitmotiv que l'on retrouve dans la bouche des dirigeants.
Bernard Giraud, du groupe Danone, dit vouloir "lutter contre la malnutrition". Quant à Veolia, leader français de l'eau qui a ouvert l'été dernier une usine d'eau potable bon marché au Bangladesh, ses dirigeants veulent "explorer de nouveaux modèles pour répondre aux besoins fondamentaux des populations afin d'atteindre les objectifs du millénaire pour le développement".
Motif N°1 : améliorer son image
Et pour "faire du bien", quoi de mieux que le business social? C'est le premier type d'initiatives à destination des BoP. A l'image de l'entreprise de produits laitiers Danone, qui a mis en place en Inde une usine de yaourts pas chers et enrichis en nutriments (voir encadré).
L'expérience est menée depuis 2006 avec la Grameen Bank. La banque de microcrédit fondée par le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus (PDF) mène un partenariat similaire avec Veolia et bientôt peut-être Adidas. La marque aux bandes blanches veut en effet produire des "chaussures à 1 euro".
L'objectif des multinationales qui se lancent dans de tels projets est double: faire du business tout en améliorant les conditions de vie des plus pauvres.
Les projets rentables
Mais ces expériences de business social ne rapportent rien, conformément aux exigences de la Grameen Bank. Les entreprises y gagnent surtout en terme d'image. "Elles ont bien compris que les gagnants dans 30 ans seront ceux qui créeront de la valeur pour l'actionnaire et au plan social et écologique", détaille Rodolphe Vidal.
D'autres initiatives destinées aux BoP ne se réclament pas, elles, de la philanthropie. Comme Essilor (vente de lunettes à bas coût en Inde) ou la grande entreprise du ciment Lafarge, qui propose en Indonésie des offres adaptées aux familles qui veulent construire leur maison.
Un autre cas célèbre est celui d'Unilever. L'entreprise de cosmétiques a fait gonfler ses ventes en Inde depuis qu'elle a choisi de vendre en petites doses ses shampoings... Mais aussi des produits éclaircissants pour la peau!
ONG circonspectes
"En soi, un projet BoP n'est pas forcément vertueux", concède Fabienne Pouyadou de l'ONG Care. Laquelle prône une collaboration des entreprises avec les ONG qui connaissent les besoins des populations locales.
Par exemple, Care conseille depuis 2005 la marque de chaussures Bata, au Bangladesh, afin de tisser un réseau de distribution via 2500 femmes dans des zones rurales enclavées. "Cela donne un revenu à des gens qui autrement n'auraient rien", justifie Fabienne Pouyadou.
Pourtant, de nombreuses ONG y sont hostiles. Pour Nathalie Grimoud, de l'ONG CCFD, le problème est ailleurs: "Le jour où les salariés du tiers-monde seront payés plus de 3 euros par jour, on n'aura plus besoin de leur proposer des yaourts moins chers", constate amèrement la chargée de plaidoyer.
Pour le moment, la plupart des ONG françaises -contrairement à leurs collègues anglo-saxonnes- refusent de jouer les conseillers marketing pour de grandes entreprises.
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