Trafic d’enfants au Tchad : ce qu’on n’ose dire...

Publié le 06 novembre 2007 par Willy
  Par tiptop

L’affaire de l’Arche de Zoé et son traitement médiatique révèle, si on accepte de voir les choses dans leur contexte historique et géopolitique, des pans entiers et peu reluisants de notre vision néocolonialiste et plus généralement du mépris considérable que nous portons à l’Afrique. Grossissons le trait au risque de choquer: après les trafics d’armes et de matières premières dont le Tchad est l’une des plaques tournantes, vient maintenant le trafic d’enfants. Les ambiguïtés de l’action humanitaire ne sont pas un phénomène nouveau, je renvoie à la lecture de Brauman, très instructive à ce sujet.

Oui, bien sûr, les gens emprisonnés actuellement à N’djamena sont des gens comme nous. Cet engagement dans une action qui s’autoproclame humanitaire force le respect. Ils pourraient être nos frères, nos cousins. Nous aimons nous identifier à eux. L’illégalité de leur action (apparemment assumé) est mise au service d’une noble cause. Mais est-ce si simple ? Ils me font penser à ces touristes occidentaux dans le Kérala indien qui, croyant bien faire, donnaient 50 dollars à un jeune enfant pour un menu service, participant ainsi à la destruction du fragile artisanat local à base de feuilles de cocotiers. Pourquoi travailler et envoyer les enfants à l’école quand la mendicité peut rapporter plus ! Leur aveuglement n’avait d’égal que leur bonne conscience.

L’enquête judiciaire autour de cette affaire n’est pas ici mon propos. Je questionne juste notre regard sur ces gens-là, sur les enfants tchadiens et leurs familles et plus généralement sur le peuple africain.

C’est peu de dire que les bons sentiments affichés de part et d’autres empêchent toute tentative de compréhension de ce qui est en jeu derrière cette affaire. La charité, cette fausse vertu héritée de notre histoire judéo-chrétienne, est mère de nombreux vices comme le paternalisme et la condescendance. Ceux-ci sont les mamelles du racisme contemporain, ce racisme bien-pensant, altruiste (que Gaston Kelman a bien illustré), éminemment insidieux et destructeur car il nie à autrui la capacité à se tenir droit et dignement sans le concours et l’aide de l’ « homme blanc ». Honnêtement, combien d’entre nous n’ont pas pensé que ces enfants tchadiens pauvres avaient une chance inouïe de pouvoir être adoptés ? Mais alors quid du droit des parents ? En effet il faut le dire avec force : c’est le peuple tchadien qui est la première victime de ce trafic. C’est une humiliation, une de plus. Pensez donc, outre une situation de guerre civile larvée (voir les récents bombardements français sur les colonnes « rebelles »), les expropriations et spoliations dues à l’exploitation des matières premières (construction du gazoduc Doba-Kribi), on leur vole les cerveaux (immigration choisie !) et maintenant les enfants dont on sait que peu étaient réellement orphelins. C’est peu de dire que les Tchadiens n’ont pas la parole dans les médias français. Ils ne l’ont nulle part. Celle-ci est plutôt donnée aux membres de Children Rescue, volontiers présentés comme les vraies victimes de cette affaire, animés bien entendu des meilleures intentions du monde. Imaginez un seul instant que la situation soit inversée. Des enfants occidentaux sont enlevés à destination de l’Afrique par un réseau qui les jugent maltraités (consumérisme, obésité, stress excessif, éclatement de la cellule familiale et j’en passe...). Imaginez le tollé !!! Absurde ? Pourquoi ? Les enfants français sont les plus heureux au monde ? Parce que l’Afrique est considérée comme un vrai merdier ? La question sous-jacente n’est-elle pas : les droits inaliénables des enfants et des parents sont-ils solubles dans la pauvreté ?

Maintenant les questions géopolitiques. Y en a-t-il un seul parmi vous pour penser que Idriss Déby a libéré les journalistes français pour les Ray Ban de Sarkozy (sa femme n’étant plus là, c’est à lui de mouiller sa chemise) ? Prise d’otages ? Plutôt un moyen de pression. N’étant pas dans les petits papiers de la cellule africaine de l’Elysée, je ne saurais dire l’enjeu des tractations mais il est clair qu’il y a eu des négociations. Après la Libye, espérons que ce ne soit pas une nouvelle centrale nucléaire... Restons sérieux, les enjeux économiques et stratégiques du Tchad sont de premier ordre.

L’autre jour j’ai bondi quand un député réclamait que l’on aille sensibiliser le chef d’Etat tchadien à la présomption d’innocence. D’abord, après Outreau et de nombreuses autres affaires, je doute que la France soit la mieux placée pour donner des leçons dans ce domaine. Cette attitude, tout empreinte de paternalisme post-colonial, me donnerait la nausée si elle n’était pas d’abord l’illustration d’un aveuglement et d’une naïveté surprenante vis-à-vis du régime de Ndjamena.

Beaucoup parlent du droit des Etats bafoués dans cette affaire de trafic d’enfants. Le problème est que le Tchad n’est pas un Etat de droit. Je m’excuse auprès des quelques magistrats tchadiens qui l’ont pensé un instant. Ils ont été vite limogés. C’est d’ailleurs à mon sens la meilleure ligne de défense pour les accusés (dans le cas probable où ils seraient jugés en France) que de souligner que le contexte tchadien pousse à l’illégalité. Le Tchad n’est pas même un Etat tout court au sens où nous l’entendons généralement, les institutions (écrites par les Français) n’étant là que pour donner le change, adoucir la dictature et servir de trompe-l’œil au chaos qui y règne. Ce pays est d’abord une plate-forme militaire (la deuxième après Djibouti) censée garantir la stabilité du pré-carré françafricain et la chasse gardée de consortiums pétroliers. Citons Loïc Le Floch Prigent (Express du 12/12/1996) : « Les tâches administratives qui me sont confiées en Afrique [...] sont de m’intéresser à la présence française au Cameroun et au Tchad. C’est la raison pour laquelle Elf entre dans le consortium pétrolier tchadien aux côtés d’Exxon. »

« La France a confiance en l’Etat tchadien et en la justice tchadienne », a assuré le chef de l’Etat. « La justice tchadienne a ses procédures et ses calendriers et la France les respecte », a-t-il encore ajouté. Surtout ne pas faire de vagues... Ne rien faire qui puisse mettre en question les relations franco-tchadiennes...

D’ailleurs, c’est tout de même curieux que personne ne s’interroge sur un Etat qui, par des accords de coopération (de 1976, Foccart n’étant pas allé aussi loin !), délègue à un autre Etat le droit de juger des crimes commis sur son sol. Un Etat où l’armée française va où bon lui semble et dont les agissements locaux sont loin d’être irréprochables. En 92, des coopérants français ont été promptement renvoyés en métropole pour avoir dénoncé le soutien de la France au régime criminel d’alors. L’affaire a été étouffée. Depuis Déby a pris le pouvoir en 96 et avec la découverte des gisements pétroliers dans la région de Doba, la situation sociale et économique du pays n’a cessé de se dégrader. Mais tant que le pétrole coule...

Aucun grand média à ma connaissance n’a brossé un portrait sérieux du seigneur de guerre Idriss Déby. Aucun mot des déportations, des exactions sur les populations civiles, des pillages, de la fraude électorale systématique... On a beau jeu alors de faire l’éloge de la nécessaire mais ambivalente action humanitaire dans un pays que nous occupons militairement depuis 1900 et avons largement contribué à délabrer. Et si avant d’aider... on se contentait de ne pas nuire ? De ne pas soutenir un régime de prédation indéfendable ? De cesser de mépriser les peuples ? Et de poser enfin un regard lucide sur les relations franco-africaines dans leur réalité, hors du double langage habituel.