J’ai horreur des « nécros », elles donnent lieu le plus souvent à tous les excès.
Soyez patient, le jour de votre mort c’est le « blanc » qui prendra, pour quelques heures, le dessus.
Cependant, une fois n’est pas coutume, mes amis ne comprendraient pas que ce blog s’abstienne de quelques mots sur Philippe Séguin, au lendemain de sa disparition.
Il a fait partie de mon environnement personnel de nombreuses années, enthousiasmé mes années militantes dans le parti gaulliste dont je fus si longtemps porte parole dans mon département.
La presse est remplie de louanges, d’anecdotes, d’appréciations parfois contradictoires, de “clips” réducteurs etc. Je n’ajouterais rien à ce grand déballage de circonstance. Philippe Séguin lui-même, doit bien rire, de son grand rire, sur son petit nuage ; il n’était pas de ceux qui prisaient les civilités excessives et les encensements post-mortem même justifiés.
C’est parce que cette passion l’habitait qu’il possédait cette exceptionnelle éloquence, un des plus grands orateurs d’après guerre. Il y avait du Malraux dans son style. Il parlait avec ses tripes et le public ne s’y trompait pas.
Bien sûr son physique impressionnant le servait, un immense corps massif empoignant la tribune à deux bras, la voix rauque du fumeur invétéré percutant le micro, un sens de la formule, mais avant tout le passage d’un souffle, celui de la passion de la France, sa France à lui.
Cette vision de la France, la sienne, la mienne, certains pourront là discuter, là contester, là combattre, mais c’était la sienne et il savait lui donner un tel relief que ceux qui lui succédaient à la tribune, fussent-ils excellents, apparaissaient pâlots.
J’ai des souvenirs inoubliables sur des questions institutionnelles touchant à l’Europe, à la décentralisation, la régionalisation : le public militant souvent préparé par les apparatchiks, programmé pour siffler la thèse minoritaire, ne pouvait résister au souffle persuasif du bonhomme. Les sifflets prévus rentraient très vite dans les gorges pour laisser place aux applaudissements debout. Le cœur avait tout emporté, même les consignes.
C’est Séguin qui dès l’automne 1994, Jacques Chirac étant au plus bas dans les sondages, choisira de soutenir ce dernier contre tous les pronostics en vigueur, « la politique ce n’est pas le PMU » dirat-il. Il participa activement à cette campagne difficile du futur Président de la République, portant sur tous les tréteaux le concept de la « fracture sociale » ensuite quelque peu tombé aux oubliettes … Hélas !
Philippe Séguin ne fait pas partie des « monstres froids » de la politique et c’est sans doute pour cette raison qu’il n’a pas fait la « carrière » au plus haut niveau à laquelle il aurait pu prétendre. L’image d’un Mendès France peut venir se superposer un peu à la sienne. La “top” réussite en politique c’est une rencontre entre une volonté et un talent mais aussi des circonstances. Ces dernières n’avaient pas rendez-vous avec ces hommes pourtant d’exception. D’autres plus durs, plus “égo-centrés”, plus “froids” barraient la route.
Grand Président de l’Assemblée Nationale, grand premier Président de la Cour des Comptes, Grand Ministre des affaires sociales, il était également un grand amateur de football et chacune de nos rencontres ne pouvaient véritablement commencer sans qu’il me pose, avant la politique, quelques questions sur l’AJAuxerre, Guy Roux, la vie du club phare de l’Yonne, les difficultés pour une petite ville d’assumer une telle équipe professionnelle. Questions auxquelles il avait d’ailleurs des réponses bien meilleurs que les miennes.
Philippe Séguin était capable des emportements les plus terribles, des colères les plus tonitruantes, titanesques, puis le calme réinvestissait la « montagne ».
Phillipe Séguin une montagne de passions difficilement maîtrisables : en désaccord avec le Président de la République, Jacques Cirac, lors de la campagne des européennes de 1999, il quitte la présidence du RPR. Roger Karoutchi lui déclare, “Vous ne pouvez pas faire cela” … “Roger, je ne suis pas là pour faire carrière mais pour défendre des convictions. On refuse de les mettre en application, je pars.“
Oui ! Il part ! Et son histoire est sans doute aussi celle d’un échec, ou plutôt d’une fin : celle de la vision gaullienne de la France d’après guerre. D’une vision qui n’a plus guère de réalité dans une page de l’histoire ou les peuples sont mixés dans le grand shaker de la mondialisation. La page était tournée depuis déjà longtemps, la voix vient de s’éteindre. C’est la vie !