Mais deuil pour deuil, le ton n'en est pas forcément moins espiègle pour autant. Si le poème augural a le ton tragique de "Nantes" de Barbara, rengaine à laquelle il fait immédiatement penser (un train qui n'en finit pas de tracer sa voie vers la petite chambre où le corps du père est déjà mort, le trio de fantômes désolés d'annoncer la nouvelle... ), la suite est plutôt dans le registre du souvenir attendri. Dédé Rouzeau dans son camion sur les routes de campagne me rappelle le grand-père de Jean Rouaud dans sa deux chevaux à prendre une goutte d'eau sur le naseau en trouvant cela rigolo et, ma foi, c'est beau.
« De la cabine du camion noir tu éprouvais les routes sans fin.
Et passant les vitesses la main le front dorés sûrement tu rêvais.
(...) tu avais des soucis à semer sur les routes ça faisait à ton front des lignes d'horizon. »
La ponctuation est de retour ici, et parfois les derniers mots sauvent l'atmosphère, permettent au lecteur de ne pas rester en plan, à la fin de la page, un deuil en travers de la gueule :
« Je t'écrivais des cartes postales pour tous les jours.
Deux le vendredi donc à cause du dimanche.
Des crocus coloriaient la neige sur la dernière que tu as vue.
Tes doigts devaient trembler à tenir le croissant, et des miettes seront tombées sur la neige.
Mais pour la carte postale du lundi elle est restée dans l'enveloppe dans ta poche dans le cercueil dans le caveau dans la terre, père gigogne. »
Le recueil se termine non pas sur la fin d'un deuil, mais sur l'acceptation de la mort, et la possibilité de porter le disparu en soi, et de le coucher sur la page après qu'on l'ait couché sous la terre :
« Ma main là posée sur la table de dehors.
De la même couleur que sa main à mon père. »
85 pages, éd. Le Dé Bleu - 11,40 €