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La Ferme des animaux

Par Nicolas S.
Il y a plein de littérature autour de nous. Emportés dans une campagne présidentielle soumise plus que jamais à la logique du discours médiatique (et non politique), nous apprenons à nous méfier des mots, à ne pas les croire, à relever leur double sens. Les mots des politiques et des médias, périphrases absconses ou formules choc, font naître une réalité fictive. Et nous nous soumettons, corps social léthargique, à cette possibilité qu’ont les mots de nous caractériser, de nous envelopper, de nous figer comme dans un instantané menteur, retouché sur Photoshopping.
Parmi toutes les œuvres du monde, dont vous avez compris qu’il s’agit ici d’épuiser définitivement toutes les ressources (hum, hum), il n’est pas de roman comparable au 1984 de George ORWELL pour mettre à plat le pliage complexe de nos sociétés politiquo-médiatiquo-paranoïdes. Big Brother, cette figure du dictateur omniprésent, qui impose sa tyrannie soporifique grâce au télécran et à la novlangue, connaît même un succès dévoyé dans nos européennes contrées, puisqu’il donne son nom à la toute première des émissions de « télé-réalité » qui nous fut donnée à voir, comme on refilerait une perfusion d’opium aux cochons.
Mais avant de composer 1984 et de mourir au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Orwell avait déjà écrit un texte plus court qui, tout en proposant une fable animalière divertissante, servait à montrer et à dénoncer l’instauration et le fonctionnement des dictatures. Je veux parler, bien entendu, de Animal Farm, La Ferme des animaux en bon françooooâââs.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais contrairement à ce qui se passe quand on ne sait plus trop quel sens donner à la démocratie, on ne s’est jamais demandé si la dictature, l’autre choix disponible, pouvait être participative ou non. Tout avènement d’un régime totalitaire est éminemment participatif, en fait. Et c’est bien ce que montre le destin hautement allégorique de Napoléon le cochon.
Dans une ferme banale de la campagne anglaise, les animaux vivent sous le règne de Mr & Ms Jones, les fermiers. Ne dites pas : « Oh ! ça ressemble à un film avec Will Smith », mais dites : « c’est bien normal que l’espèce humaine dirige les autres espèces et les exploite à ses fins personnelles ». Seulement voilà, ce règne ne paraît pas naturel à tout le monde. Sage l’Ancien, l’ancêtre respecté de la ferme, qui a la queue en tire-bouchon, est sur le point de casser sa pipe. Un soir à la ferme, dans l’étable, il monte sur l’estrade et s’adresse à l’assemblée animale pour raconter son rêve et léguer son message révolutionnaire. De ce fait, il devient la tête pensante, le père fondateur d’une révolution animale qui va réellement se produire. Lui ne la verra pas advenir : ce sont ses copains de bac à boue Snowball et Napoléon qui vont après sa mort définir les règles de vie de l’Animalisme, et provoquer le Soulèvement des animaux à la Saint-Jean d’été.
Une fois les humains boutés hors de l’enclos, la Ferme du Manoir est rebaptisée Ferme des Animaux. On assiste à l’époque glorieuse du mini-Etat. Mais très vite cette exception politique s’enclave, se coupe des autres fermes, prône même l’isolement et refuse tout commerce avec les hommes, forcément de mauvaise volonté. Après avoir établi et inscrit dans l’Etable les Sept Commandements de l’Animalisme, doctrine philosophique qui fonde le régime politique de la ferme, subrepticement les animaux reconstituent une hiérarchie. Les cochons s’improvisent têtes pensantes du régime, entourés des chiens qui constituent leur milice (d’abord de propagande, ensuite de répression). Les chevaux sont bonnes poires, à l’image de Malabar, un molosse « qui n’était pas génial », de Douce ou de Lubie. Les moutons suivent comme des moutons. Les poules sont bêtes, et l’oiseau de bonne augure, un corbeau qui croasse, a vite fait de se faire la malle, perçant les nuages à la recherche de la Mythique Montagne de SucreCandi.
Snowball a de grands plans de progrès social pour l’espèce animale, mais c’est Napoléon le despote qui s’imposera à tous par la force, et par la manipulation des esprits et des mémoires. Jusqu’à ce qu’on ne fasse plus trop la différence entre l’espèce porcine et l’espèce humaine.
Finalement, on a trop vite fait de considérer que Orwell rejette le Communisme à travers cette fable animale et politique. Ce qu’il vomit littéralement, c’est le despotisme des castes et l’asservissement des individus. On gagne bien sûr à faire du Communisme la bête noire de La Ferme, mais la faute est en réalité dans la soif de pouvoir et la tentation de dominer, inhérentes à l’homme.
Bon allez, j’ai suffisamment parlé, hop !
150 pages, coll. Folio – 3,50 €

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