Le 14 juillet 1973, en Inde, à Rishikesh, Henri Le Saux s'effondra à terre frappé par une crise cardiaque.
Il faillit mourir ; en fait il s'éveilla.
Quelques mois plus tard, le 7 décembre 1973, il mourait et passait définitivement sur l'autre rive.
Henri Le Saux, dernière photo connue"1973 : 11 septembre
II est clair de mes souvenirs, de mes conversations en ce temps-là (après le 14 juillet) des lettres écrites alors, que je vécu la crise cardiaque d'abord comme une merveilleuse aventure spirituelle. Le centre de l'intuition qui s'imposa à moi en ces tout premiers jours fut que l'éveil est indépendant de quelque situation que ce soit, de tous les dvandvas (dualités), et d'abord du dvandva appelé vie-mort. On s'éveille partout et simplement (...)
Au bout de quelques jours me vint la solution merveilleuse d'une équation : J'ai découvert le graal. Et cela je le dis et l'écris à quiconque peut saisir l'image. La quête du Graal n'est autre au fond que la quête de Soi. Quête unique signifiée sous tous les mythes et symboles. C'est soi que l'on cherche à travers tout. Et pour cette quête on court partout, alors que le Graal est ici, tout près, il n'y a qu'à ouvrir les yeux. Et c'est la découverte du Graal dans sa vérité ultime, la vue directe par Galaad de l'intérieur du vase, et non plus seulement être nourri par le Graal qui traverse mystérieusement la salle, ni même boire au Graal...
Dans ces semaines de grâce, j'ai eu l'impression très nette que c'était un « regain » de vie, qui m'était donné, quelque chose d'au-delà la mesure à moi assignée par la « vie », et que je n'ai pas le droit d'en mésuser. Cette grâce d'éveil -- retour à la vie est non pour moi mais pour autrui. C'était si clair : pour annoncer la découverte du Graal, pour dire au monde : Uttistha, purisha, lève-toi Purusha ! (Katha Up. 3, 14), découvre le Graal. Regarde, il est au fond de toi, il est ce je même que tu prononces en chaque instant de ta vie consciente, même au fond de ta conscience de rêveur, et de dormeur. Une vie désormais qui est au service de cet eveil. La manière - je n'en puis rien savoir. Mais il fut très net qu'il y a ici pour moi coupure fondamentale dans ma vie.
Au bout de quelques semaines la routine reprit naturellement, mais la percée de ces jours de grâce est toujours une Lumière qui illumine au-dedans.
C'est la finale de l'intuition qui me marqua en janvier : « Tout est devenu clair. » Il n'y a que I'éveil. Tout ce qui est « notion », mythes et concepts, n'en est que l'expression. Il n'y a ni ciel, ni terre, il n'y a que Purusha que Je suis..."