Note album : 8/10
Pete Doherty a beau être le garçon le plus gentiment bordélique du monde, son évocation implique quelques codes certifiés conformes par la guilde des chroniqueurs. En premier lieu, on se lamentera sur son statut de débris décadent. Histoire de faire un peu marrer dans les chaumières, on citera une de ses meilleures âneries, comme celle de baptiser son chat Dinger ("Seringue") et de lui cocaïner régulièrement la truffe. Puis selon que l'on soit fan transi ou opposant outré, il incombera d'insister sur le côté profondément "humain et sensible" de l'icône ou, au contraire, de bramer haut et fort "qu'on ne comprend pas ce que certains peuvent bien trouver à ce type".
(Si l'on est un fan déçu, on peut également se lancer dans une tirade certifiant que "Pete n'est rien sans Carl", que "jamais les BabyShambles n'égaleront les Libertines, etc…)
Vient ensuite le temps du paragraphe vie privée – vie publique. Kate Moss a lâché Pete après que celui-ci l'a soi-disant trompée avec un mannequin sud-africain et… Amy Winehouse. Un peu vexée, la top model dézinguée est partie se cocaïner la truffe ailleurs, et Pete était sacrément malheureux, au point de parait-il vouloir se suicider lors de sa 239è cure de désintox. A présent, Pete serait clean. Il exhibe une tignasse d'un roussâtre pas très heureux et traîne un sacré bout de temps dans les starting-blocks quand on lui pose une question.
Il convient à présent de s'interroger comme si l'on n'avait pas pris un certain pied à conter les aventures de Pete. Car un bon chroniqueur s'intéresse à la musique, pas aux scandales. Il est là pour décrire les chansons notes après notes, chansons après chansons, de manière objective. Et tant pis si personne ne le lit.
Alors, et la musique dans tout ça ?
Le Pete leader des Babyshambles, tout le monde le connaît également. Il joue un peu maladroitement de la guitare et ne chante, euh… pas très bien, d'une voix à la fois atone et étrangement expressive. Mais peut-être grâce a ses défauts, il excelle dans l'art d'écrire des mélodies touchantes, tout simplement belles, ornées de textes qui le sont autant. Notre Pete aime bien jouer dans des clubs crados plutôt sympathiques, en compagnie de ses copains BabyShambles, dont il ne reste plus grand-chose à dire depuis le départ du guitariste Pat Walden, remplacé par un certain Mick Whitnall. Bref, au vu de l'état pas toujours très reluisant de son leader, le groupe semblait promis à l'oubli rapide, une fois l'appétit des tabloïds rassasié. D'ailleurs, leur premier album, Down in Albion, sonnait comme le chant d'un cygne camé, malgré son petit lot de chansons émouvantes et frissonnantes. Trop d'approximations et une prod miteuse avaient fait de ce chef d'œuvre potentiel une œuvre certes terriblement émouvante, mais trop bancale et mal finie pour être écoutée d'une traite sans agacement.
Mais voila, Pete Doherty a réussi on ne sait trop comment à tirer les leçons de ce demi-échec. Il a commencé par virer Mick Jones, l'ex-Clash producteur de toujours, pour le remplacer par le plus consensuel Stephen Street, à qui Blur ou encore les Kaiser Chiefs doivent leur succès. Et le résultat s'en ressent fortement. Aux premières écoutes, Shotter's nation apparaît comme une version plus lisse et plus homogène de Down in Albion, l'affreux intermède reggae en moins. French Dog Blues ressemble à s'y méprendre au très beau The 32nd of December tandis que sur Unstookie titled, un tronçon de Fuck Forever traîne au milieu, sans que l'on sache trop pourquoi. Du coup, on se prend à encenser les défauts de Down in Albion, soudain beaucoup plus poignant que ce 2è album trop policé pour refléter véritablement la personnalité de son auteur. Puis au fil des passages sur la platine, la bête se dévoile. Apaisée, certes, mais blindée de mélodies frisant la perfection, comme le brillant Crumb Begging Baghead et son orgue déjanté. En tant que chanson pop impeccable, l'inaugural Carry on up the morning possède un charme capable de museler n'importe quel détracteur des Babyshambles, tandis que Baddie's Boogie oscille entre douceur de couplets nostalgiques et rage d'un refrain révolté. Les textes révèlent un talent poétique intact et naviguent entre rêve pop d'une époque révolue (Delivery), décadence liée au succès (Side of the road) et flétrissement de l'amour (Baddies boogie). Certes, quelques écueils rappellent que Pete Doherty n'est pas toujours l'auteur de ballades qu'il souhaiterait être, comme pendant le jazzy et pénible There she goes ou le très longuet Lost art of murder, mais son élocution chancelante et ses mélodies dézinguées font mouche bien souvent (Unbilotitled, Deft Left Hand). Largement de quoi arrêter de geindre sur la gloire enterrée des Libertines et penser enfin au futur musical du plus barré des sujets de sa Majesté.
Classe : "Carry on up the morning", "Delivery", "Crumb begging baghead", Baddie's boogie"
Crasse : "There she goes", "Lost art of murder"
En bonus, "Carry on up the morning", en live au Boogaloo