Autorités monétaires, responsables politiques et banques d'investissement partagent rarement la même opinion, mais en Europe, presque tous sont d'avis que la zone euro devrait dans une large mesure sortir indemne de la crise du crédit immobilier qui secoue l'économie américaine.
Il ne faut pas les croire.
La baisse des prix de l'immobilier sur le Vieux Continent va amputer les revenus disponibles, freiner la croissance économique et pourrait même détourner l'attention des banques centrales de la hausse des prix de l'alimentation et de l'énergie.
La tourmente qui ébranle les Etats-Unis est liée au niveau élevé de l'endettement des ménages américains. Celui des ménages européens est plus modeste, mais il tend cependant à augmenter.
Prenons l'exemple de l'Italie. Les patrons de banques qui se sont empressés d'affirmer qu'ils n'étaient pas exposés aux crédits à surprime sont ceux-là mêmes qui se vantent par ailleurs de pratiquer le crédit socialement responsable en accordant des prêts aux immigrés et aux jeunes sans emploi stable. Les journaux italiens abondent d'offres de crédits sans apport.
Dans l'ensemble, les Italiens se sont davantage endettés pour acquérir des logements. Entre 2002 et 2006, les emprunts immobiliers ont augmenté en Italie à un rythme deux fois plus rapide que la moyenne de la zone euro, d'après la Banque d'Italie. Or la hausse des prix de l'immobilier n'a pas suivi le même rythme; c'est donc que la dette nette des ménages s'est accrue.
Comme 75% de ces crédits immobiliers sont à taux variables, les emprunteurs sont maintenant confrontés à une hausse du coût de leur emprunt.
Si les Italiens, comme les Espagnols, doivent attribuer une part plus importante de leur budget au logement, ils ont moins d'argent à consacrer à d'autres dépenses, d'autant que les salaires du secteur privé ont enregistré une hausse plus faible que le taux d'inflation, ce qui n'est pas non plus favorable à la consommation. La Banque d'Italie estime qu'une hausse de 50 points de base des taux des prêts immobiliers diminue de 0,6% les revenus disponibles. C'est beaucoup, si l'on considère que les dernières statistiques sur les ventes de détail ont fait apparaître une croissance de seulement 1,4%.
En outre, la population italienne vieillit et devient plus économe, dépensant plus pour la santé et moins pour d'autres biens de consommation comme les vêtements, qui font tourner le moteur économique italien. Les tendances démographiques ont fait baisser les dépenses des ménages de quelque 1,5% par an au cours de la décennie passée, selon la banque centrale italienne.
Quoi qu'il en soit, les Italiens ont puisé dans leur épargne pour maintenir leur train de vie. Depuis 1993, la consommation par habitant a augmenté d'environ 16% de plus que les revenus disponibles.
Les prix de l'immobilier ont déjà atteint des sommets difficilement abordables. Un appartement de 80 mètres carrés à Milan coûte au moins 320.000 euros, soit 20 fois le revenu brut moyen déclaré, et plus de huit fois le revenu net moyen d'une personne dont le salaire se situe dans la fourchette des 2% les plus élevés.
Il est vrai que les Italiens ont un patrimoine élevé. Plus de la moitié des récentes transactions immobilières n'ont impliqué aucun crédit.
Mais c'est autant d'argent qui n'est pas pas injecté dans la troisième économie de la zone euro, en manque d'investissements pour doper sa productivité.
L'Italie, la France et l'Espagne, qui représentent à elles trois près de la moitié du produit intérieur brut de la zone euro, ont toutes enregistré un taux de croissance de la consommation des ménages plus élevé que celui de l'ensemble de la zone euro ces dernières années. Cela ne durera peut-être pas si les prix de l'immobilier s'essoufflent, ce qui ne manquera pas d'arriver.
A moins d'un effort herculéen de la part de l'Allemagne, la demande domestique pour les biens et services de la zone euro risque donc de baisser fortement.
Les responsables de la Banque centrale européenne sont préoccupés par la hausse des prix de l'alimentation et de l'énergie, mais c'est autre chose que les investisseurs pressentent. C'est peut-être pourquoi les rendements des emprunts d'Etat à maturité longue de la zone euro ont baissé par rapport au mois dernier.
Crédit photo : Irène (Flickr)