Voici un roman de Tom WOLFE court et décapant dans sa dénonciation des médias et de l’armée. Une chaîne à cancan prend la justice de court, ou plutôt pointe du doigt son laxisme, après le meurtre inexpliqué d’un jeune soldat homosexuel. Tout le monde sait, à Fort Bragg, petite ville texane qui vit principalement grâce à l’unité militaire qu’elle abrite, qui a fait le coup et pourquoi : réflexe homophobe de soldats. Mais tout le monde sait aussi qu’ils sont protégés par les généraux, et que la Justice reste indifférente à tout cela. Et tout est bien ainsi : pas de remous inutile.
Alors Irv Dutscher a décidé de rendre justice : il traque les trois coupables dans leur bar préféré, grâce à des micros et caméras cachés, en attendant qu’ils avouent. Il voit déjà comment tourner l’émission, comment mettre en scène la présentatrice vedette avec qui il travaille, ce qu’il faudra couper, ce qu’il faudra censurer, ce qu’il faudra monter pour que l’accusation soit univoque et sans appel. Et le scandale rémunérateur et publicitaire. Peut-être même pourra-t-il enfin faire citer son nom pendant l’émission, qui sait ?
Le ton est souvent caustique : le contraste entre les minables prétentions à peine avouables d’un gros mollasson en mal de reconnaissance et la grande mission de justice sociale qu’il s’est donnée ; entre le monde soi-disant cultivé des deux « journalistes » et le langage cru et vulgaire des militaires, transcrit de façon à faire entendre un patois local savoureux dans sa grossièreté. Quand au lecteur, sa position est dérangeante : il est placé de force du côté des voyeurs par le choix du point de vue interne, ce qui peut mettre mal à l’aise ; mais d’un autre côté, il répugne à entendre le langage grossier, vulgaire et puissamment homophobe des militaires (même si c’est parfois croustillant, dans ce genre-là !). Aucun parti n’est donc séduisant pour le lecteur : il ne lui reste qu’à s’offusquer des méthodes employées par les « journalistes » (mais en même temps, ne fallait-il pas faire quelque chose ?), et à vomir ces « skin heads », qui sont eux aussi les victimes du formatage qu’ils ont reçu, et du traquenard qu’on leur tend.
La troisième partie est un peu redondante, puisque le narrateur raconte l’émission en comparant ce qui s’est réellement passé pendant la confrontation des trois soldats avec les vidéos du bar, et ce que le spectateur voit et comprend, grâce au jeu du montage.
En bref, le roman dénonce fortement ces médias populistes qui prennent de grands thèmes sociaux dans le seul but de faire parler d’eux.
Environ 130 pages, coll. 10/18 - 6,00 €