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De San Donato in Perine à l’antenne (5)

Publié le 06 novembre 2007 par Argoul

Ce matin au réveil, en poussant les volets, je découvre brume et pluie. Le village est presque désert en ce jour férié ici du 1er novembre. Mais le kiosque à journaux a le journal ‘Le Monde’ du jour (donc de la veille). Marie-Claude l’achète.

Nous partons sous une pluie fine qui ne tarde pas à s’arrêter. La brume, épaisse au matin, s’allège puis se lève tout à fait vers dix heures. Denis nous désigne au loin sur la pente la villa Scozzi, bâtie au temps de sa splendeur par une grande famille, depuis longtemps ruinée. Le renouvellement social était très fort dans l’Italie renaissante. Un grand domaine privé s’élève sur une crête, dominant les vignes. Il s’agit de San Donato in Perine. Il est désert en cette saison. De curieux blasons sont gravés dans la pierre, dont l’un en forme de scarabée. Nous descendons l’autre versant parmi un grand rassemblement de chasseurs tenant les chiens en cage dans les remorques de leurs 4×4. L’air sent la grillade et des caisses de vin sortent des voitures. C’est une grande fête macho où seuls les hommes et les chiens sont conviés, dans une débauche de viande et d’alcool.

Le prochain capuccino est à Vertine, village fortifié. Las pour les Sucrettes, le café est fermé ! Tout le monde est à l’église ou au cimetière en ce jour des morts. Ou à la chasse. Un cimetière, sur une autre crête, est tout fleuri. Chaque tombe rassemble deux, trois, voire quatre pots de chrysanthèmes de couleurs variées. Même au royaume des morts, l’apparence est d’importance.

Nous abordons le gros village de Gaiole. Le Jolly Caffè est un « bar tabacchi » ou – « enfin ! » selon les filles – le capuccino est possible. Le bar regorge de cartes postales de la Toscane pittoresque. Vignes, vieilles pierres et couleurs d’automne de rigueur. Le paysage en est peigné, les vignes en rang comme les sillons d’une chevelure gominée, brume dans les lointains, l’horizontal d’une ferme contrastant avec la verticale d’un cyprès toujours vert. Tout cela montre une campagne riche, apaisée, stabilisée par les siècles, un équilibre rare entre paysage et humains, l’essence même de la civilisation à mes yeux. La Villalonga en profite, après son café, pour s’enfumer un peu plus les poumons à la Winston - juste avant la montée qui vient. Pour elle, dans sa verve, tous les villages s’appellent « Capuccino », tous les hôteliers « Albergo » et tous les chemins mènent à « Caccia ». On peut voir en effet sur tous les panneaux forectiers la mention « divieto di caccia ». Mais cela signifie quelque chose comme « défense de chasser »… Aline, dite « la Villalonga », nous impressionnait au début par ses exclamations en italien avec le bon accent, mais l’on s’est vite aperçu qu’elle ne parlait pas la langue ; elle chantait seulement des mots à l’air italien dans une déformation de cuisine fondée sur les terminaisons en o et a. Pourtant, elle aurait été en vacances souvent en Italie, petite, disait-elle.

Nous suivons la route mais la pente n’en est pas moins forte. Les filles peinent et soupirent. Elles ne marchent jamais, pas même dans la ville où elles travaillent, et je me demande pourquoi elles sont venues. Un détour par les bois nous oblige à grimper une dernière crête. Nous passons par la forêt humide pour déboucher sur le tout petit village de Barbiscio aux pittoresques maisons du pays. Nous préparons le pique-nique sur les bancs désert d’un café fermé en cette saison. Cette fois – toujours autour de la tomate – Denis a prévu une bruscetta, cette tranche de pain rassie frottée d’ail, imbibée d’huile d’olive, sur laquelle on étale des feuilles de basilic frais et des tomates en dés. C’est délicieux. Des chats de toutes couleurs, faméliques depuis que la saison a fait déserter les touristes, nous entourent pour grappiller quelques miettes de fromage. La thermos d’eau chaude, prise chaque matin par Denis pour le café, est à peine suffisante pour quinze, et les derniers sont souvent frustrés. C’est aujourd’hui le cas de la Villalonga, privée de café et qui le fait savoir haut et fort. A quelques pas, la chapelle du village étale aux regards, au-dessus de la porte d’entrée, une étrange Annonciation en terre cuite. Moderne, l’archange annonciateur semble se ruer sur la Vierge qui réagit telle une chatte, crachant et toutes griffes dehors.

Nous remontons sur une autre colline. La Toscane est ainsi faite de collines suivies de vallons, au grand dam des fatiguées chroniques… Une fois la crête atteinte - miraccolo de la Madonna ! - nous la longeons sans plus redescendre. Il y a eu intercession féministe, à n’en pas douter. Nous sommes dans la forêt incultivable, donc « protégée ». Les rayons dorés du soleil d’automne filtrent au travers des branches, nous caressant la tête et les épaules par intermittence. Nos pieds frôlent les feuilles de chênes, les aiguilles de pin ou les bogues de châtaignes, comme ce matin. L’odeur est la même, sublimée par le soleil de l’après-midi dans l’air plus sec, terre humide et pourriture organique. Quelques trouées parmi les frondaisons laissent entrevoir la houle verte des collines boisées d’où les petits villages émergent comme autant d’esquifs sur une mer démontée, leurs tours servant de mâts.

Nous sommes passés depuis ce matin dans la province de Sienne. Denis nous conte l’anecdote de la délimitation des provinces. A la Renaissance, Florence et Sienne se disputaient le territoire toscan. Pour arbitrer le conflit, les deux villes ont décidé de marquer la limite de la façon suivante : deux cavaliers, au premier chant du coq, devaient partir de chaque ville, à la rencontre l’un de l’autre, et le lieu de leurs retrouvailles serait déterminé comme frontière. Des arbitres de chaque ville étaient présents à chaque point de départ pour vérifier le bon respect des règles. Les Florentins, finauds, ont fait jeûner leurs coqs ce jour-là. Les bêtes ont donc chanté plus tôt, ce qui a permis au cavalier de Florence de parcourir plus de terrain que celui de Sienne !

Le chemin forestier s’achève sous une haute antenne-relais bardée de paraboles. L’alberga se nomme « La Pineta » en référence à la forêt de pins serrés dans laquelle elle se dresse à 850 mètres au-dessus de la mer. C’est une haute bâtisse de trois étages, immense, qui sert d’hôtel aux chasseurs ou aux travailleurs des communications, je suppose. Elle est vide aujourd’hui et nous y trouvons de grandes chambres à deux sans chauffage, avec WC et douches au fond du couloir. Il n’y a rien à faire, sinon picoler en bas, comme le font certaines filles, se bourrant par avance, au bar de l’entrée, de liqueur sucrée à l’anis de type Marie-Brizard. Et c’est plutôt pompette qu’elles aborderont le dîner, servi dans un hall immense à la chinoise, donc glacial en cette saison. Deux entrées de pâtes (à la tomate, aux champignons), deux viandes (sanglier et pintade trop cuite), frites de rigueur. Le dessert, en revanche, n’est qu’une tranche de pain « saint » (levé aux noix et aux cerises). Nous sommes servis par l’un des fils, un boutonneux aux oreilles percées, et par l’une des filles des tenanciers. Les filles ressemblent au père, blondasses.

Au-dehors, il fait grand vent et la lune est pleine, « gibbeuse », ce soir. Ce terme, que j’aime bien, ne vient pas du mot « gibier » mais du latin « bossu ».

Walk on, walk on in Chianti, from Firenze to Sienna. We go this day from San Donato in Perine to a big antenna hidden in a wood. Many shooters today are looking for hare or wild boar. For one woman of our group, every village is named ‘cappuccino’ because she loves to stop and to drink a sugar beverage.


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