X
2615 - 09. 07. 09
La réunion de plusieurs
fragments papyrologiques (60, 65 et 86 Lobel-Page et Voigt, deux éditions de
référence), qu’a proposée récemment Franco Ferrari (“Contro Andromeda :
recupero di un’ode di Saffo”, Materiali e
Discussioni per l’analisi dei testi classici, 55, 2005, p. 13-29) a créé un
contexte nouveau. Le fragment ainsi constitué contient un appel à l’amie
Aphrodite comparable à celui du fragment 1, mais il s’en distingue aussi. Il y
en avait sûrement beaucoup dans l’œuvre immense, modulés chaque fois selon la
situation particulière, qui soutient l’invention et la composition du poème, et
donc aussi la forme et la fonction dévolues à la déesse. Il s’agira toujours
d’amour, mais toujours sous un autre aspect, l’amour tenant un rôle différent
selon les cas. Ici, si l’on s’en tient aux compléments choisis dans les lacunes
des papyrus, il s’agit d’une jeune personne, appelée Andromède, qui se croit
tout permis ou presque ; tout lui est dû à cause de sa beauté. Aphrodite, la
compagnede Sappho, comme une autre
elle-même, serait appelée au secours : qu’elle vienne mettre de l’ordre dans
cette contestation, qui compromet l’autorité de la maîtresse. C’est son domaine
après tout. Inutile de s’adresser à d’autres dieux. Il n’y a qu’elle pour Sappho.
Elle ne descendra pas du ciel, comme au fragment 1, mais sortira sur terre, en
grandepatronne de Chypre, de son temple
préféré ; il est garant de l’ordre, comme tout autre sanctuaire. L’amour
est souverain, capable de tout ; il se laisse pourtant dompter par plus
souverain que lui, et revêt ses formes multiples dans les mains de Sappho,
assistée par sa déesse.
On a pu penser que Sappho
implore de la déesse amie un secours contre une rivale ; je la verrais plutôt
décrire par cet appel une situation encore autrement concrète : elle
pourrait se trouver chez elle dans l’incapacité d’imposer sa volonté et de faire
reconnaître ses prérogatives, sa loi étant mise en question dans son propre
règne par une jeune personne, imbue d’elle-même, de ses capacités et de son
éclat. Les difficultés seraient insurmontables, menaçant l’organisation de son
existence. Dans son domaine tout ne va pas toujours selon les critères de
l’amitié, ni selon ses désirs. La poétesse est contestée et combattue
au-dedans. Le fait qu’elle ait besoin de son alliée divine montrerait qu’elle
ne maîtrise pas la situation.
Si l’on considère le plan plus
purement poétique, toujours présent, il faudrait dans l’affaire inclure les
conséquences d’une révolte. La situation créée met peut-être en cause l’univers
bien réglé, qui lui permet de composer les poèmes qu’elle écrit.
©Jean Bollack, publié par Tristan Hordé