Toby Peters réenfile son costume défraîchi de privé dérisoire dans un Hollywood qui flirte avec le régime nazi...
Toby Peters, je ne sais pas si certains d'entre vous s'en rappellent, c'est le détective privé de la loose, le dernier espoir des stars de ciné en danger, l'ami de la bestiole et le souffre douleur des méchants. C'est aussi et surtout le personnage anti charismatique créé par le génialement drôle Stuart KAMINSKY, grand fada de cinéma. Ce qui passionne Kaminsky, c'est le Hollywood de la grande époque, et plus particulièrement cette période trouble de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle le cinéma est devenu d'abord et avant tout un média politique.
Alors, tome après tome, Kaminsky plonge son personnage dans des situations improbables en compagnie de stars réelles du grand écran : Charlie Chaplin, Errol Flynn, Gary Cooper, Clark Gable, Mae West ou encore, ici, la sensuelle Bette Davis. Des stars qui traversent toutes une mauvaise passe, et se retrouvent à supplier le dernier des détectives de Los Angeles, ce pouilleux de Toby Peters.
Sauf que moi, Toby Peters, je l'adoooore. Et je pense que c'est un peu fait exprès. Certes, il est tellement à côté de la plaque qu'il n'a rien à envier au privé à Babylone de Brautigan. Bien entendu, c'est l'opposé d'un "dur à cuire" façon Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Peters le dit lui-même : il passe un tiers de son temps à se faire tabasser, un autre tiers allongé sur le dos, le plus souvent dans une chambre d'hôpital. Ça laisse peu de temps pour résoudre des enquêtes politico-mediatico-financières... ...
Et pourtant !
Et pourtant Toby Peters arbore dans son vaste bureau (un placard à balai au fond d'un cabinet de dentiste de seconde zone) un tableau de Dali, et des remerciements de J. Edgar Hoover. Il compte parmi ses anciens clients tout le gratin hollywoodien.
Stuart Kaminsky connaît toutes les ficelles du polar. Il a beaucoup lu et beaucoup vu, c'est certain. Alors il prend un malin plaisir à détourner ses éternelles idoles, à poser des scènes mythiques, très visuelles, tout en allant toujours à contre courant de nos attentes. Ainsi Toby Peters, fourbu après s'être fait rouer de coups la veille au soir, va au petit matin libérer le malfrat, et l'invite à petit déjeuner dans un bar qu'on imagine exactement comme celui du tableau NightHawks de Edward Hopper. Peters commande des Wheaties, le méchant bougonne. Peters lui propose un marché, le méchant dit qu'il doit aller pisser avant de répondre. Alors il se lève et s'éloigne. Peters ne bouge pas, ne se retourne pas, entend la porte d'entrée du restaurant s'ouvrir puis se refermer. Le garçon s'approche de lui et le prévient qu'un taxi approche... qu'il s'arrête... que le type y monte, et disparaît. Toby Peters n'a pas bougé, ne s'est pas retourné. Il termine ses Wheaties, règle son déjeuner, rentre à son bureau où l'attend son chat Dash. Un méchant flic lui tombe dessus. Le téléphone sonne. C'est un chauffeur de taxi...
239 pages, coll. 10/18 - épuisé mais parfois dans les étals des bouquinistes