Il y a quelques semaines, Jean-Michel Mathonière nous a signalé dans un article sur ce blog la présence d'un curieux écu d'architecte ou maître maçon, au musée de Korcula (Croatie) où figurent un serpent et un compas. Il nous a rappelé dans un autre article que le compas, l'équerre et le serpent étaient aussi des symboles associés aux héros mythologiques chinois Fuxi et Nuwa.
Je voudrais à mon tour illustrer ce thème par les photos de la Prudence, sculptée par Michel Colombe.
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Dans la cathédrale de Nantes se trouve en effet le tombeau de François II et de ses deux épouses successives, Marguerite de Bretagne et Marguerite de Foix. Ce magnifique monument en marbre de Carrare a été sculpté entre 1502 et 1507. Il était d'abord placé dans la chapelle des Carmes et il a intégré la cathédrale de Nantes en 1817, après avoir été démonté en 1792 pour échapper au vandalisme révolutionnaire.
Michel Colombe a placé aux angles les quatre vertus cardinales : la Force, la Justice, la Tempérance et la Prudence. Cette dernière allégorie est riche de symbolisme. La femme tient en main gauche un miroir pour mieux se connaître et pour regarder derrière soi avant d'avancer. Derrière son visage apparaît d'ailleurs une autre face, celle d'un vieillard barbu : c'est le passé, l'expérience, dont on doit tenir compte avant d'agir.
En main droite, la Prudence tient un compas et à ses pieds se love un serpent. L'association du compas et du serpent comme attributs de la Prudence est classique jusqu'au XVIe siècle dans l'iconographie religieuse. Le compas exprime la juste proportion, la mesure, la raison. Le serpent, quant à lui, renvoie à l'Evangile selon saint Matthieu (X, 16) : "Soyez prudents ainsi que les serpents et simples comme les colombes."
Le symbolisme du compas et du serpent a été clairement exprimé par Philibert De l'Orme lorsqu'il a commenté l'une des gravures de son traité d'architecture, représentant l'architecte sortant d'une grotte (les ténèbres de l'ignorance), marchant sur un chemin hérissé de cailloux pointus (les embûches et les épreuves) et se dirigeant vers un palmier (la réussite, les palmes de la victoire). L'homme tient un compas où est enroulé un serpent. De l'Orme écrit que le "compas entortillé d'un serpent signifie que (l'architecte) doit mesurer et compasser toutes ses affaires et toutes ses oeuvres et ouvrages, avec une prudence et mûre délibération. […] Prudence, dis-je, telle que le serpent la figure et est commandée et recommandée par Jésus-Christ en son Evangile." (suit le verset précité).
Bien plus tard, le symbole du serpent prudent trouvera un ultime écho dans le Devoir des compagnons blanchers-chamoiseurs rédigé en 1840 par Jean-François Piron, dit Vendôme la Clef des Cœurs, compagnon blancher-chamoiseur : "Le soleil est dans sa force, levons la tête : allusion à la prudence du serpent dont il en est le symbole, lequel ne sort de dessous terre où il a passé une partie de l'année, et ne lève la tête que lorsqu'il s'est assuré du degré de chaleur des nouveaux rayons du soleil qui doit lui redonner la force qu'il a perdue ; image de la prudence qu'un Compagnon doit avoir dans toutes ses entreprises."
L'explication de Piron est intéressante car elle ne renvoie plus au texte évangélique mais à l'observation d'un comportement naturel. Y a-t-il eu de sa part une volonté de laïciser un symbole encore présent dans certains compagnonnages du XIXe siècle ? Ou bien, ne connaissant pas la référence chrétienne, a-t-il tenté d'expliquer rationnellement pourquoi le serpent symbolisait la prudence ? N'aurait-il pas de la sorte expliqué pourquoi le Christ qualifie les serpents de "prudents" ?
Quelqu'un connaît-il d'autres représentations de la Prudence associé au compas et/ou au serpent dans des églises, des sculptures sur des habitations, ou dans l'iconographie en général ?
L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)