En 1971 parait aux Etats-Unis « Americana », le premier roman de Don DeLillo. Il y raconte l’histoire de David Bell, son travail dans les bureaux d’une chaîne de télévision et comment il a fuit, prenant la route pour se réinventer. En 2007, Joshua Ferris publie « Then we came to the end », son premier roman. Son titre vient de l’ouverture d’ « Americana » : « Then we came to the end of another dull and lurid year. » Incontestablement, s’ils étaient replacés tels quels dans le livre du finaliste NBA, ces quelques mots en formeraient la plus belle phrase. Ce n’est pas là le moindre des malheurs de ce coup d'essai qui en compte finalement beaucoup.
Fin des années ’90 et de la bulle nouvelles technologies, Chicago, une agence de pub. Un période de vaches maigres s’ouvre, remettant en cause non seulement les rapports entre collègues mais surtout le travail lui-même, de plus en plus rare : tout le monde se trouve sur un siège éjectable. Mais Ferris ne s’intéresse pas vraiment à la « précarisation des parcours professionnels » tant à la mode dans le discours politique récent. Non, ce sur quoi il écrit, c’est les relations sociales, l’organisation, les rôles de chacun dans la boîte. Sociologie de l’entreprise sous forme de fiction ? Peut-être, mais surtout un regard ironique sur la vie de l’employé. Celui-ci reconnaîtra sans doute pas mal de collègues dans cette galerie d’archétypes : on a le mec qui raconte des blagues en permanence, celui qui a toujours des bonnes histoires, celle qui connaît tous les ragots, celles qui est toujours au courant des dernières modes, celui qui parle à peine à ses collègues, le middle-manager intelligent mais jalousé et perçu comme arrogant, etc. Les situations sont aussi connues : l’idylle secrète, le travail sous deadline, les inimités fatales, les practical jokes qui ne font rire personne, les maladies, les conversations qui s’éternisent autour de la machine à café ainsi que les alliances qui se font et se défont, d’une complexité à faire pâlir l’expert en géostratégie. Ou presque.
Au-delà de cette succession de situations, y-a-t-il un fil narratif ? Pas vraiment, et c’est là un des soucis. En fait, Ferris est un peu le cul entre deux chaises. Il tente à plusieurs reprises d’introduire des intrigues dans sa longue litanie de jours qui passent, mais ça ne fonctionne pas vraiment. Elles sont au nombre de trois : le cancer de la supérieure hiérarchique (est-ce plus qu’une rumeur ? S’en sortira-t-elle ? Quelles sont les implications sur sa vie privée ?), Tom Mota, employé instable récemment viré reviendra-t-il faire un carton ?, et, en filigrane, à la place du whodunnit, le whosnext sur la liste des licenciements. Leur développement est franchement peu passionnant et surtout d’une subtilité qui n’a rien à envier à la truelle de l’apprenti-maçon. C’est ennuyant : au fil des pages d’anecdotes, on commence à souhaiter une histoire plus consistante, mais une fois dans ces bouts d’histoire on s’emmerde et veut revenir aux anecdotes. C’est un cercle vicieux duquel l’auteur s’avère incapable de nous faire sortir.
Stylistiquement, comme je le sous-entendais plus haut, ça ne vaut pas mieux : d’une platitude totale, l’écriture de Ferris fait penser à du sous-Nick Hornby – pas de surprise, celui-ci adore le livre. Il y a, il est vrai, une trouvaille pas trop mauvaise : le livre est écrit en « We » afin de donner l’impression qu’il s’agit d’une œuvre collective, écrite par tous les employés mais aussi pour souligner le caractère universalisable des relations de travail dans ce type de statut. J’ai quand même l’impression que ce « nous » inclusif se transforme en « nous » exclusif (par rapport au « vous » du lecteur) à mesure que le livre vous (oui, vous !) emmerde. Parce que c’est bien ça le pire : oui, c’est amusant, on rigole, il y a des choses vraies, etc mais on s’emmerde comme un rat mort. En fait, se regarder dans un miroir est plus intéressant que lire « Then we came to the end » : au moins, l’accessoire de votre salle de bain s’avère essentiel pour détecter le bouton inaperçu ou la mèche mal mise tandis que le roman, qui devrait être essentiel, s’avère absolument accessoire, jetable, recyclable : il n’apprend rien ni sur vous, ni sur la littérature, ni sur le monde, ni sur l’écriture, ni sur l’humour. Il sert juste à passer le temps dans le bus ou dans la cafétéria si vous êtes un employé asocial auquel aucun de ses collègues ne demande de l’accompagner à l’heure de table.
Moins de six mois après sa parution Stateside, ce roman était déjà traduit sous l’épouvantable titre « Open Space » - parenthèse : faut vraiment être malade pour traduire un titre anglais en un autre titre anglais. Impossible de ne pas penser au phénomène similaire tant à la mode en cinéma il y a quelques années : la version française du navet érotico-policier Wild Things, par exemple, s’appelait par chez nous Sex crimes. De cette rapidité de publication, je ne tirerais aucune conclusion. Par contre, de sa relativement bonne réception ici – excellente de l’autre côté de l’Atlantique- j’arriverai sans doute à l’un ou l’autre jugement sur mes « collègues » et, peut-être, eux sur moi.
Joshua Ferris, Then we came to the end, Viking – Penguin, £14.99