Une fiction criante de vérité sur deux solitudes en plein Paris, piégées dans les embouteillages et les transports en commun . Delphine de Vigan a su aller au plus profond de la souffrance générée par le harcèlement moral et le désert affectif, sur fond de transports saturés.
Delphine de Vigan nous conte la double histoire de Mathilde, 40 ans, harcelée depuis huit mois au travail, et de Thibault, médecin urgentiste qui répond au pied levé aux appels au secours lancés de tous les coins de Paris. Il se débat avec les embouteillages, les difficultés de stationnement pour remplir sa mission. Delphine de Vigan a imaginé un personnage doublement seul. Il vient de rompre avec l'amour de sa vie, une femme qui ne l'aime pas. En plein désespoir amoureux, il transporte quotidiennement sa solitude et court de domicile en domicile tenter de diagnostiquer et soulager des souffrances de toutes sortes.
Aucune raison d'échapper à cette course solitaire sans fin, tant est universelle la misère humaine.
Mathilde, l'autre héroïne de Delphine de Vigan vit d'autres « heures souterraines ». Elle en passe beaucoup chaque jour dans le métro, et le RER D pour se rendre à son travail dans la banlieue sud. Veuve et mère de trois garçons, elle avait réussi à se hisser à force de persévérance à un poste de responsable adjointe d'un service marketing dans un groupe alimentaire international. Mais depuis huit mois elle vit d'autres insupportables heures souterraines. Son supérieur hiérarchique l'a subitement prise en grippe et s'emploie à une lente et subtile usure pour la pousser à la démission. Il fait le vide autour d'elle, la décharge de toute mission, et la bombarde insidieusement de rumeurs dévastatrices. Mathilde résiste à sa manière, elle s'accroche à son poste car elle ne peut croire à la violence de son adversaire.
Delphine de Vigan montre bien la difficulté de se protéger et de stopper un harcèlement moral. La technique du harcèlement est apparentée à celle de la guérilla. La victime est guettée par un ennemi invisible, se laisse surprendre et quand elle veut réagir, il est trop tard. Ses collègues la fuient , elle en perd le sommeil, le goût de vivre, la dignité . Quand elle appelle au secours le délégué syndical, il est trop tard, elle n'a plus l'énergie de combattre.
Les investigations de Delphine de Vigan ont été menées jusqu'au bout de ce mal social, car elle montre bien que l'informatique est une arme idéale pour humilier et exclure complètement. La voilà dépossédée de tout, sans code d'accès, déchargée de tout travail aux yeux de tous, reléguée dans un bureau exsangue, broyée de l'intérieur. Elle est parvenue « au bout de ce qu'il est humainement possible de supporter ».
Delphine de Vigan est parvenue ainsi au bout de sa démonstration. Pas de pathos, l'examen reste clinique jusqu'au bout. Et elle a évité le roman à thèse. La charge est toutefois pesante, car aucune échappatoire ne sauve la fiction. Les « heures souterraines » finissent par étouffer le lecteur, qui cherche jusqu'au bout du roman une sortie ou tout du moins « une bouche d'aération » Elle ne vient pas. Toutefois dans la conjoncture actuelle, le livre est d'utilité publique. J'espère qu'il a été envoyé à tous les responsables de France Telecom, à tous les DRH du pays et autres broyeurs de vies individuelles. Les « heures souterraines » de Delphine de Vigan resteront une condamnation sans appel de la déshumanisation du monde moderne. Un fait de civilisation difficile à combattre, mais aggravé par des acteurs facilement identifiables et clairement désignés.