Balzac est un de ces auteurs classiques auxquels je reviens systématiquement. De ces écrivains qui me manquent quand je me suis passé d'eux pendant quelque temps.
Balzac me met, en tant que lecteur, dans des sentiments successifs. L'admiration, l'agacement, l'ennui, l'intérêt passionné. Cette manière de considérer les personnages comme des mécaniques liées étroitement à leur milieu, le reflétant, étant reflété par eux, chaque maison expliquant son propriétaire, comme si elle le générait plutôt qu'étant ordonnée par lui. De même le costume.
Il avait une vue, une vision acérées, et une mémoire incroyablement précise. C'est en partant des décors, des silhouettes qu'il découvre la personne générée à l'intérieur comme une huitre fait la perle.
Ensuite, cette définition méticuleuse du personnage élaborée, il n'y a qu'à le laisser agir dans une situation donnée pour qu'il produise des actes logiques, des paroles conséquentes.
Le choix de ces personnages est fait en fonction du projet global, la Comédie humaine: il faut remplir les cases , terminer le tableau général. Il faut montrer comment la province, ou le monde petit bourgeois, ou le faubourg Saint-Germain produisent des modèles de comportement, comment tel milieu crée ses formes. Comment s'y nouent les rapports. Quelles sont les relations entre gendres et belles-mères, entre actrices et bohèmes, entre bourgeois et aristocrates....
Cette manière de procéder est à la source des types. Le jeune provincial, la femme de trente ans, la grande dame. Ça va des variations les plus subtiles jusqu'à des grossissements moliéresques: L'Avare, le Père, Le Nouveau Tartuffe, l'Ambitieux.
Le grand moteur de ces romans est quand même la révélation des intrigues secrètes, de ce qui se passe en dessous de l'apparence sociale et qui est minutieusement révélé, grâce parfois aux ficelles du roman-feuilleton. C'est ça qui anime les livres, le fourmillement des intérêts et des contre-parties, l'Amour, l'Ambition et l'Argent qui donnent aux milieux les plus ternes et calmes une trépidation. On prépare un mariage, chez Balzac, comme on organise dans les hautes sphères politiques l'établissement d'un nouveau ministère.
Par quoi je suis agacé, alors? Son idéologie. Elle n'est pas la mienne, ça va sans dire, mais ce qui me gêne, ce n'est pas ça, plutôt qu'elle est souvent puérile, qu'elle manque totalement de générosité, qu'elle rêve à un monde socialement figé, un monde de castes, où les vertus, les talents, les dons seraient distribuées d'après la hiérarchie sociale, en montant. Ses romans édifiants dégouttent de principes mais ne montrent aucune charité réelle (par exemple L'envers de l'histoire contemporaine, cette histoire de couvent laïc)!
Autre motif d'irritation: ses clichés, sur les femmes par exemple, ou les pauvres. Ils sont souvent liés aux types, qui entraînent forcément des simplifications, d'accord. Mais aussi à son idéologie ou à sa rapidité d'écriture, à la nécessité pour lui de construire vite l'énorme édifice de son œuvre.
Cette œuvre dans laquelle j'ai régulièrement des envies violentes de m'absorber. J'ai des boulimies de Balzac, des semaines où il faut que je m'engloutisse dans ce monde puissant, minutieux, ordonné.