Histoire de comprendre le prisme déformant de certains médias
Durant de mon premier conseil d’arrondissement siégeant comme élu, lorsque Michel Depatie (directeur de la Société de développement de l’Avenue du Mont-Royal) nous présenta la nouvelle version du sac de magasinage de son association, j’étais loin de me douter que cet objet allait générer une polémique médiatique.
Effectivement, sur le sac en question, il s’illustre un personnage nous souhaitant « joyeux décembre! » dans un phylactère. Or, quand nous savons que ladite expression s’avère simplement le nom du festival organisé par les commerçants de l’avenue du Mont-Royal depuis maintenant cinq ans, il n’y a rien à redire sur cette banalité (si ce n’est qu’une formule de marketing pour étirer la période d’achat à tout le mois de décembre en maximisant l’ambiance des fêtes).
Le fameux sac de la discorde
Mais, coup de théâtre, voilà que dans l’expression « Joyeux décembre! » (Évidemment, c’est très à la mode sur le Plateau de se souhaiter le joyeux décembre), l’éditorialiste Lysiane Gagnon y percevra de grands dangers sociologiques. Dans sa feuille de chou, après une litanie en faveur du rassemblement mondial autour du grand Noël chrétien, madame Gagnon nous mettra en garde qu’à force de joyeux décembre, « l’on finira par dégoûter les gens du pluralisme (?!?) et donner raison aux xénophobes (?!?) de tout acabit ».
Bien sûr, au-delà du ton caricatural de cet éditorial, le sujet initial s’avèrera plutôt un prétexte pour casser du sucre, encore, sur les terres progressistes du Plateau Mont-Royal. Car, il faut garder à l’esprit que la réactionnaire en chef de l’empire Desmarais travaille toujours à la défense du système socio-économique en place. Dans le cas de cet éditorial toutefois, il y a un changement notable dans la cible historique de Power corporation. En effet, quoi comprendre de ses clins d’œil aux nationalistes québécois? A priori, cela pourrait apparaitre singulier. Mais à bien s’attarder sur le sujet, cela peut quand même s’expliquer.
Premièrement, dans le cas de cet article, l’éditorialiste commence par prendre le parti de Mario Beaulieu (le président de la SSJB) en chargeant ladite expression pour mieux défendre Noël. Mais, voici tout l’art de madame Gagnon, non seulement elle donne subtilement naissance à l’expression « joyeux décembre » dans la conscience collective, mais en plus, elle lui accorde la paternité au Plateau-Mont-Royal. Or, en suggérant que ce supposé accommodement raisonnable serait le fruit d’une influence politique, madame Gagnon attire la critique des nationalistes contre les progressistes du Plateau Mont-Royal. Et pouf! Voilà comment une bête formule commerciale se transforme en débat sur l’identité!
Car, vous savez… si ces « Plateaupithèques » sont tellement sensibles à la rectitude politique, ce n’est pas simplement pour démontrer leur « branchitude » à l’ouverture au monde. Dans les faits (il ne faut pas le dire trop fort, car ils ne le savent pas), mais ces gauchistes s’avèrent des idiots utiles du tandem Bergeron/Khadir… des agents communistes d’un international complot musulman!!! La preuve, ces soi-disant intellectuels osent remettre en question la version officielle sur les attentats du 11 septembre. Dans les cercles nationalistes, ont dit même que via le NPD, les soi-disant souverainistes du Plateau sont financés par la GRC… afin de faire perdre le parti Québécois aux élections et bloquer l’indépendance du Québec. Bref, parce que le Plateau Mont-Royal est LA porte d’entrée de la mondialisation au Québec; c’est donc dire que le Plateau Mont-Royal est l’ennemie moderne de la nation québécoise. Vite, il faut mettre nos ceintures fléchées, prendre des shooters de sirop d’érable et défendre impérativement le Noël d’antan à la sauce aux atacas!
Blague à part, et trêve de délire à la Mathieu Bock-Côté, permettez-moi de penser que madame Gagnon cherche à exacerber le Québec rural contre le Montréal progressiste… et surtout, à attiser une lutte entre les souverainistes de gauche (la locomotive du projet de société) et les souverainistes de droite (les wagons du peuple pour se rendre au pays).
Cela dit, je m’inquiète aussi de ce nouvel engouement des nationalistes québécois à s’attacher aux symboles chrétiens en guise de résistance au multiculturalisme… de quoi tirer définitivement dans le pied d’un éventuel pays républicain pour le Québec. J’aimerais tellement faire comprendre à ces derniers que la vraie lutte aux accommodements déraisonnables passera par un contrat social s’appuyant sur la laïcité que nous voulons pour notre État. En effet, comment pouvons-nous, d’un côté, imposer la primauté de la laïcité (donc, de l’interdiction aux accommodements religieux), et de l’autre, défendre logiquement les symboles chrétiens dans la sphère publique? Bref, s’il est vrai que le débat sur les accommodements déraisonnables couve toujours au Québec, il faudra tout de même réaliser que la rétrograde croisade pour la défense du Noël chrétien s’avère justement une plaidoirie pour le maintien des accommodements déraisonnables.
Même notre Louis national ne semble pas avoir perçu les astuces fédéralistes de madame Gagnon. Du moins, se sert-il, lui aussi, du « Joyeux décembre » pour aborder l’un de ses sujets de prédilection.
Pour conclure ce point, je me permettrai ici de citer le dernier texte de la merveilleuse Rima Elkouri (une journaliste qui ne cesse de m’épater) :
Un an et demi après la publication du rapport Bouchard-Taylor, faute de courage politique, le débat reste entier. Il subsiste de nombreuses zones d’ombre où la religion vient entre autres égratigner l’égalité homme-femme. Esquiver la question ne la règle pas. Laisser le champ libre aux marchands de peur, non plus. Au-delà des beaux discours sur la diversité, il faudra que l’État assume son rôle d’arbitre et se décide enfin à instaurer des balises.
Pour revenir à nos moutons politiques, maintenant que la chef du PQ confine le véhicule indépendantiste en un pantouflard parti identitaire, parce que les forces du changement sont donc plus dynamiques sur le Plateau Mont-Royal que dans le mouvement souverainiste, il n’est pas étonnant que les vieux réactionnaires canalisent leur venin éditorial sur l’influence sociale de mon quartier. En ce sens, il est divertissant d’observer la pathétique hargne de madame Gagnon envers Projet Montréal qui, d’ailleurs, ne perd jamais une occasion pour souligner aux lecteurs la confession religieuse de Richard Bergeron avec des parenthèses inutiles. Constatez par vous-même.
Mais le Plateau nous réservait d’autres surprises. Le courriel portant la carte de voeux électronique de Richard Bergeron, le chef musulman (converti) de Projet Montréal, s’intitule « Joyeux Noël »… un énoncé fort audacieux à notre époque où les chefs politiques se feraient couper en petits morceaux plutôt que de se faire photographier à côté d’un sapin de Noël.
La carte, toute passéiste, traduit cependant fort bien le programme de Projet Montréal, le parti au pouvoir dans le Plateau. Elle représente une rue enneigée, à la fin du XIXe siècle. Deux carrioles tirées par des chevaux, quelques piétons déambulant, entre des bancs de neige gigantesques, sur une chaussée où nulle souffleuse ne passera…
Voilà la parfaite illustration du rêve des édiles du Plateau : un village du bon vieux temps, un Val-Jalbert montréalais d’avant les autos, les déneigeuses et les fléaux de la modernité!
Bien sûr, il faudra déduire que la madame Gagnon ne tient pas à comprendre l’humour de Projet Montréal. En effet, cette carte de Noël était un clin d’œil à tous ces acteurs médiatiques qui diffuse la perception, erronée, que nous aurions arrêté d’enlever la neige dans le Plateau.
Mais, si nous savions déjà qu’en terme de malhonnêteté intellectuelle et de déformation professionnelle de l’information, Lysiane Gagnon n’a pas son pareil au Québec, le plus paradoxal ici est qu’elle dépeint Projet Montréal comme une organisation s’opposant à la modernité (?!?).
Dois-je rappeler à son vieux cerveau rouillé que mon parti municipal se fonde sur un projet urbain qui doit bonifier l’offre des transports collectifs, afin, justement, de rattraper notre retard face aux villes modernes? Dois-je lui rappeler qu’en phase avec l’enjeu de ce siècle, nous souhaitons faire notre part contre le réchauffement climatique? Dois-je lui rappeler que les jeunes familles voulant vivre en ville nous ont mandatés de réaménager le partage de l’espace urbain? Dois-je, justement, lui rappeler que nous sommes le parti montréalais de la nouvelle génération (50 % pour cent des 45 ans et moins ont voté pour notre Projet Montréal à la dernière élection)? Dois-je lui rappeler qu’à l’image de notre composition sociologique, nous sommes les champions en intégration des nouvelles technologies de communication? Dois-je lui rappeler que le Québec moderne devrait être activement laïc plutôt que passivement attaché aux traditions chrétiennes?!
Une scène moderne selon Lysiane Gagnon
Bref, il faudra donc traduire que, ce que madame Gagnon appelle la modernité, c’est la modernité de l’époque à Jean Drapeau. C’est à dire une « urbanisation » développée par des infrastructures autoroutières, socialement formatée dans la consommation de masse et bien balisée dans des cadres religieux.
La conception du progrès selon madame Gagnon!
Madame Gagnon, votre système économique ultralibéral a démontré mondialement sa faillite en 2008. Le réchauffement planétaire nous urge d’agir. Nous ne vouons pas un culte à l’obtention d’une voiture pour démontrer notre pouvoir d’achat. Eh oui, j’admettrai que je me fous particulièrement de la signification chrétienne de ce que vous fêtez comme l’anniversaire du fils de Dieu.
Dans son éditorial « Poupons et pollution », madame Gagnon nous aura pondu une superbe perle réactionnaire envers le concept de décroissance économique. Je vous donne une idée du ton : « Les écolos sont encore plus terrifiants que les curés d’antan! ». En effet, c’est que la madame s’acharne à penser que l’exploitation des ressources terrestres est infinie… pas étonnant qu’elle veuille encore nous faire croire au Père Noël!
Madame Gagnon, l’essence nauséabonde de vos textes est périmée, votre idéologie est désuète… vous êtes intellectuellement dépassée et socialement inutile. Laissez donc la nouvelle génération s’offrir les solutions que l’avenir nous impose.
Ah oui, je ne l’ai encore jamais dit, mais pour vous spécifiquement madame Gagnon, je vous souhaite évidemment un joyeux décembre!