C’était peu de temps avant Noël. Prise d’une envie soudaine de contact humain, j’avais téléphoné à Georgina pour connaître les dates de ses prochains ateliers « fromage ». En effet, notre reine mondiale du crottin organise aussi des sessions de formation où tout un chacun peut apprendre à se concocter son camembert perso ou sa mozzarella. Personnellement, je n’aime pas le fromage (Schtroumf grognon, vous vous souvenez ?), enfin surtout pas le camembert. Je sais, la honte pour une Normande, mais bon, ça pue, le camembert, et ça coule, et c’est jaune dedans… Beurk, je n’ai encore rien mangé de la journée, mon cœur se soulève. Par contre, je ne néglige pas une petite rondelle de mozzarella dans mes tomates de temps en temps, ou plutôt je ne négligeais pas, vu que pour le moment, si question tomates, ça va à peu près (surtout que les miennes ne vont pas tarder à poindre dans mon mini-potager), il n’y a ici de mozzarella que le nom sur des paquets de « quelque chose » râpé… Bref.
J’appelle donc Georgina, qui s’esclaffe d’entendre ma voix comme si nous étions de vieilles copines et me propose : « Viens donc ramasser des coques avec nous sur la plage de Collingwood, mercredi prochain ! » Bonne idée, pensé-je in petto mais hélas, je déclinai poliment vu que le mercredi, j’ai « cheval » et « danse ». Pas de bol, c’est le seul jour de la semaine où je n’ai pas le temps de glander ! Mais notre bonne Georgina ne se décourage pas pour autant, et elle continue : « Ben ça fait rien, tu n’as qu’à nous rejoindre après au Mussel Inn, c’est soirée poésie ! » Bonne idée, pensé-je derechef, et cette fois je le lui dis. Rendez-vous était donc pris pour dans trois jours, à 20 h.
Que je vous plante un peu le décor : le Mussel Inn, c’est THE lieu. Pas une personne qui ne m’ait parlé de cet endroit, c’est le bar où ça bouge. Et de fait, il semble y avoir une programmation assez riche de petits concerts en tous genres, et aussi de soirées poésie, donc. Il faut prendre la voiture pour s’y rendre, vu qu’il se trouve à une petite dizaine de kilomètres de la « ville » (comme les gens d’ici appellent leur village !), soit à presque vingt de chez moi et au milieu de nulle part. Me voilà donc en train de courir comme une folle après mon cours de danse pour prendre une douche en vitesse et me rendre à mon fameux rendez-vous. Heureusement, les fioritures sont superflues puisque dans le coin, on s’habille, se coiffe et ne se maquille pas de la même façon en toute circonstance. Ça m’arrange, je gagne du temps, je regrette juste d’avoir fait venir mes chaussures à talons de France, ustensiles totalement dérisoires au pays du look brut de décoffrage.
Pile à l’heure, j’entre dans le restaurant, bondé à l’extérieur, bondé à l’intérieur. Enfin, bondé à la façon « Golden Bay » s’entend, n’imaginez pas non plus un bar branché de n’importe quelle ville de France (même des petites), où on se serre inconfortablement dans un espace trop étroit sans se parler puisque la musique est trop forte. Le Mussel Inn, c’est une maison en bois pas très grande, enclavée dans un recoin de roche, et abritée du soleil par des arbres ancestraux. Il y a du monde ici, ça respire la bonne ambiance. Des tas de gens assis côte à côte, on croirait un repas de communion : la disposition des tables, en long sous les tonnelles, donne l’illusion que tout le monde se connaît, que tout le monde passe la soirée ensemble.
Dehors, point de Georgina, j’entre. Des tables en vrac un peu partout, des chaises dans tous les sens, des gens debout, ou à peine assis, une fesse dans le vide prêts à se relever, d’autres tranquillement attablés devant un plat fumant, c’est un joyeux bordel, du moins c’est l’impression que j’en ai. On fait la queue au bar (en Nouvelle-Zélande, on commande et on paye au bar puis on est servi à table) pour avoir une petite bière avant que les poètes ne commencent leur show.
Boudinés autour d’une petite table, Georgina et sa smala s’entassent allègrement les uns sur les autres, à six adultes et deux enfants autour d’une table pour quatre. Je fais un signe, elle m’aperçoit, et étonnée me jette, rieuse : « Oh, je t’avais oubliée ! ». Voilà un accueil qui renforce mon estime de moi d’un seul coup. Mais je ne me formalise pas, d’ailleurs, ici on ne se formalise pas de grand-chose, on est relax, on prend la vie comme elle vient. Ça me change, je m’adapte. Du moins, j’essaie. On me fait une petite place, je me tasse, me fais toute petite (ça m’amuse toujours beaucoup de dire ça, vu qu’il faudrait défier toutes les lois de la physique pour réussir à rendre « petite » ma carcasse grassouillette !), et je constate à l’encombrement de la table qu’ils ont déjà mangé. Je me relève, et je prends ma place dans la file pour passer commande. Devant mon intention de tester les moules néo-zélandaises, Georgina me conseille aussitôt, très vivement, les moules « vapeur » alors que je balançais goulûment vers les moules à la soupe aux palourdes. Mais, malgré son oubli un peu vexant de tout à l’heure, je tiens à rester « friendly », comme ils disent, et j’obéis docilement.
À suivre…