Meursault est un petit employé et vit à Alger. Sa vie se résume à son travail, quelques baignades, quelques aventures féminines, ses repas chez Céleste, son appartement et la monotonie. Fils unique, il vivait avec sa mère jusqu'à ce qu'il la place dans un asile de vieillards, à Marengo, installant une routine chaque dimanche. Lorsqu'il apprend son décès, c'est en automate qu'il sollicite un congé auprès de son patron, qu'il achète son billet pour le voyage en car et qu'il endosse une tenue de deuil. La veillée se déroule comme s'il en était absent, comme s'il était étranger à ce qui l'entoure, il accepte le café proposé par le concierge, il fume quelques cigarettes, presque sans un regard pour sa mère.
Après la mise en terre sous un soleil de plomb, Meursault reprend le chemin d'Alger, le sentier de son quotidien atone, gris et immuable. La vie continue, terne, écrite dès le réveil, identique au jour précédent jusqu'à ce qu'il rencontre Marie, une jeune femme pétillante, prête à croquer la vie, puis Raymond, un homme brutal que l'on dit un peu maquereau. Un dimanche après-midi, la longue et interminable suite identique des jours bascule sur une plage surchauffée par le soleil: les balles d'un révolver bouleversent à jamais le cours du fleuve qui semblait si tranquille.
Meursault est arrêté, accusé de meurtre et emprisonné en attendant son procès. Il apparaît comme étant hors des évènements, comme si ces derniers ne le concernaient pas, comme si ce n'était pas lui l'accusé. Il évolue dans un halo de brouillard: tout est diffus, confus, rien n'est tranché, ça peut être tout et son contraire, l'indifférence happe Meursault, l'enveloppe, l'habille dans une torpeur inexplicable. Tout "lui est égal", au grand désarroi des personnes qui l'approchent; peu à peu le rouleau compresseur de la justice broie les ultimes espérances d'un Meursault de plus en plus en dehors du temps, les moindres détails, insignifiants et encore moins extraordinaires, prennent des allures de faute originelle.
"L'étranger" est un roman dont le héros glace le lecteur par son indifférence, par sa vision désabusée des valeurs de l'homme social: on sent que Meursault est loin de se faire des illusions sur la marche du monde tout en remarquant qu'il ne souhaite pas sortir de son impasse car pour lui la vie ne semble avoir aucun sens, aucun but. Le lecteur le suit pas à pas, gorgé de situations déprimantes jusqu'à en être écoeuré, se laissant envahir par le sentiment de l'absurde. Meursault étranger à lui-même, étranger en raison de son comportement étrange que l'on ne saisit pas d'emblée (on ne sait rien de son environnement intime), et parce qu'il ne ressemble pas aux autres hommes car il ne subit pas son existence sans se poser de questions: derrière son apparente distance, il met en avant une certaine condition humaine, assujettie aux contingences sociales, politiques, économiques ou culturelles. Ainsi, croque-t-il, l'air de rien, la promenade dominicale des familles à l'habillement codifié et connoté (bien ancré dans le monde que rejette, implicitement, le héros Meursault), la place de la justice et de la religion (les scènes du procès où son attitude lors de la veillée mortuaire est décortiquée presque cliniquement: il lui est plus reproché d'avoir abandonné sa mère que d'avoir tué un arabe! L'absurde et le paradoxe sautillent au coeur du roman).
La lecture de "L'étranger" laisse une sensation unique: le mariage de la glace et du feu, soufflé et distillé au lecteur désarçonné puis hypotisé par les méandres de l'absurde que peut exhaler une existence mécanique et routinière. Une lecture qui a suscité chez moi les mêmes émotions qu'il y a plus de vingt-cinq ans....est-ce sans doute dans ceci que réside la force de la littérature!?
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