Mais ce n'est pas une victoire : tout d'abord parce que, comme le double référendum irlandais sur le Traité de Lisbonne nous l'a enseigné, on peut très bien faire revoter les Suisses jusqu'à ce qu'ils fassent « le bon choix » (et on ne voit guère pourquoi la Suisse ferait miraculeusement exception à cette pratique, qui crée un précédent).
Ensuite parce que, contrairement à ce que croient les juristes, la loi n'a pas plus de pouvoir que celui qu'on lui donne. Rien ne dit qu'elle sera effectivement appliquée, et les contrevenants condamnés. Et il se peut même que la Suisse soit condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, pour atteinte à la liberté d'islamisation.
Mais enfin, et surtout, le problème n'est pas architectural. Il est démographique et culturel. S'il n'y avait qu'une poignée de musulmans en Europe, ils pourraient bien avoir tous les minarets qui leur chantent cinq fois par jour l'appel à la prière.
Et il ne faudrait pas compter outre mesure sur la Suisse, dont l'existence ne repose que sur sa neutralité à l'égard du contexte européen. Car il est permis de penser que cette neutralité sera dure à préserver. La Confédération suisse compte un peu moins de huit millions d'habitants. L'Union européenne à vingt-sept, près de 500 millions.
Jusqu'au XXe siècle, la Suisse, reliquat (comme les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, d'ailleurs) de l'ancienne Lotharingie, était un élément de stabilité entre les appétits expansionnistes de la France et des avatars successifs de l'Allemagne.
L'ère des rivalités nationales en Europe est désormais terminée. Place à l'unification européenne. La Suisse, facteur d'équilibre du temps des États-nations, risque fort d'apparaître de plus en plus comme une enclave à réduire. Et comme l'a rappelé Stag, la classe politico-médiatique helvétique est en train de préparer l'opinion suisse à l'adhésion à l'Union européenne, qui va devenir toujours plus inévitable à mesure que le continent s'unifiera politiquement. Quand cela arrivera, la mesure d'interdiction des minarets risque bien d'être inapplicable.
Roman Bernard