Daniel Faivre est professeur de français, à la retraite depuis quatre ans. Il anime un site consacré aux questions éducatives, l'Observatoire du laxisme à l'école.
Comme dans les romans de Philipp Roth ou de Milan Kundera, un événement prend, à la réflexion, un sens contraire à son évidence première.
Nous sommes au tout début de ce nouveau millénaire, dans mon collège de banlieue et confrontés à un fait sans précédent : une élève refuse d’ôter son foulard qui entoure ses cheveux pour monter en classe. Réaction unanime et immédiate, nous n’assurerons pas nos cours tant qu’elle persistera. Le rectorat nous envoie sa médiatrice pour discuter. Nous tenons bon et finalement l’élève est exclue.
Là se situe le fameux événement ambigu : dans le patio certaines de mes élèves filles m’abordent pour que je signe leur pétition en faveur de leur camarade rebelle. Farouche opposant, au nom de la laïcité, je ne peux m’empêcher de leur sourire au nez. À leur grande déception qui signifiait : « Pas vous ! ».
« Comment avaient-elles pu croire que j’approuverais cette tentative islamiste ? », me demandais-je.
Le débat actuel sur la burqa m’apporte enfin la réponse.
Revenons à mon opposition première. Devant les hésitations de mon administration, j’avais prévenu mes élèves garçons qu’au cas où l’on nous imposerait une fille voilée en classe, ils arboreraient en cours des casquettes de supporters de l'OM ou du PSG. Cette franche sexualisation (un peu simplette), ce refus en tous cas d’entrer dans un débat religieux et de rester sur le convenable, fit l’unanimité de mes deux troisièmes, filles et garçons.
C’est ce point que je n’ai pas su approfondir. Les adolescents crèvent de cet égalitarisme sexuel que l’école leur impose, de cette mixité qui cache mal sa misandrie et qui brouille l’attention en classe. D’où violence ambiante et pornographie. D’où sans doute cette approbation plus ou moins consciente de la règle musulmane, à la puberté, d’être fille avant tout et des garçons, garçons.
Mes cours de lettres louaient par essence cette différence sexuelle, au cœur de nos chefs d’œuvre passés. Devenir homme, devenir femme, pour comprendre Andromaque et Pyrrhus, Julien Sorel et Madame de Rênal, Landry ou la petite Fadette… Mon audience auprès des élèves tenait par là. Aussi furent-ils déçus par mon refus brusque et un brin moqueur de leur pétition. Les filles voulaient être reconnues dans leur sexe. Tout à ma colère républicaine, je n’avais pas compris. Le Français s’était dressé avant et devant l’homme, à aveugler celui-ci.
Le rejet de la burqa au nom de l’égalité homme-femme m’a réveillé ; il relève de cette déliquescence idéologique qui a fait dériver la si belle idée d’égalité des droits, en égalitarisme des mœurs. Les musulmans, les juifs, les hindous, les bouddhistes se plaisent dans la différence. Les chrétiens ont perdu leurs âmes.
Restent les coutumes, les bienséances de notre pays, la France. C’est en leur nom seul que nous devons nous opposer à la burqa. Pas au foulard ni au hidjab, excepté en classe où la tête nue marque le respect dû au maître. L’usage en France est de montrer son visage, parfois de se découvrir et pas seulement pour des raisons de sécurité. Point barre ! Mais il faut rejeter la burqa avec la bienveillance requise envers des femmes qui refusent de tout leur être le modèle occidental provoquant, tatoué, dénudé, percé, rasé… au bout du compte, asexué. Assez d’hypocrisie : quel est l’homme qui n’a pas rêvé sous ces voiles d’un vrai corps de femme ?
Un peu d’empathie, toujours nécessaire quand il faut comprendre une différence. Écartons résolument d’abord l’antipathie franchouillarde et acculturée, dont le stéréotype se résume par « emprisonnée par l’homme », ce grand Satan occidental des dernières décennies ! Trop bête dans son franco-centrisme ! Soyons plus respectueux : montrer son corps, son visage, est impudique pour la femme musulmane. C’est précisément son charme. En même temps qu’une valeur religieuse, la pudeur voile à peine son contraire, une impudeur terriblement désirée. Éclatante dans la danse par exemple. L’aplomb érotique de la danse orientale authentique ou la dynamite veloutée de son regard découvert s’opposent à l’exhibitionnisme froid, narcissique, agressif, plein de morgue de notre diva. La Française s’affiche sans s’offrir. Déjà Montesquieu, avec son regard persan, s’étonnait de sa coquetterie toute mondaine. Qu’eût-il dit aujourd’hui !
Pire et plus profondément, son américanisation depuis la Seconde guerre mondiale, l’a éloignée progressivement de sa nature femelle, fructueuse, féconde. Courbet, n’en doutons pas, eût pris aujourd’hui pour modèle de son Origine du Monde, une descendante de la Shéhérazade des Mille et Une Nuits. Comme la nature l’a faite. Une femme.
Daniel Faivre
Criticus, le blog politique de Roman Bernard.
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