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La Presse travaille fort pour nous convaincre de la nécessité de hausser les tarifs d’électricité. L’organe de presse de Power Corporation, sous la plume de son nouveau caniche des pages éditoriales, utilise l’exemple du Vénézuela, où l’essence est peu coûteuse, pour parler du gaspillage systématique d’une ressource lorsque son prix n’est pas fixé par le marché. Derrière cette logique apparente se cache une idéologie beaucoup plus pernicieuse: mettre fin aux services publics et forcer les citoyens à payer le coût réel pour chaque service.
Ainsi, même s’il a été démontré par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) que les hausses de tarifs d’électricité n’empêchent pas le gaspillage car l’électricité possède une très faible élasticité-prix – elle est à ce point nécessaire dans notre climat froid qu’on ne peut qu’appauvrir la majorité de la population en augmentant son prix – et que ces hausses toucheraient principalement la classe moyenne et les plus démunis, les idéologues de La Presse n’en démordent pas: il faut faire payer le « vrai » prix aux citoyens.
Or, à quoi ressemblerait une société où le principe de l’utilisateur-payeur serait érigé en dogme absolu? Autrement dit: pourquoi s’arrêter à l’électricité si la recette est si efficace? Si tout ce qui est fourni au citoyen en-dessous de la valeur marchande est gaspillé, pourquoi ne pas s’attaquer aux autres forme de gaspillage?
- Santé. Les citoyens devraient payer le coût réel de chaque hospitalisation, de chaque opération, de chaque visite chez le médecin. « Monsieur, vous opérer coûterait 10 000$, avez-vous l’argent? » Un tel système ressemblerait à ce qui se fait aux États-Unis, qui possède un réseau de la santé presque deux fois plus coûteux qu’au Canada et qui est responsable de la mort de plus de 100 000 personnes par année, conséquence d’une trop grande place faite au privé.
- Éducation. Pourquoi l’État devrait-il fournir l’éducation à ses citoyens en-dessous du prix du marché? Il faudrait démanteler le réseau public et facturer directement les parents. Au Canada, on estime le coût d’une année d’étude à plus de 3500$ au primaire et 4700$ au secondaire. C’est donc dire que le coût moyen assumé par chaque parent pour assurer une éducation de base à ses enfants serait de 45 000$. Croyez-vous que beaucoup d’enfants d’Hochelaga-Maisonneuve ou de Montréal-Nord iraient à l’école?
- Transport. L’entièreté du coût des transports en commun devrait être assuré par les citoyens. Oubliez la CAM à 70$; s’il faut faire payer le coût réel du service, il faudrait probablement doubler le coût de la passe mensuelle à Montréal. En outre, assurerait-on des services dans les quartiers pauvres, moins rentables? Ou la nuit? Oubliez-ça: comme à Detroit, un service pourri, sur les grandes artères seulement, hors-de-prix, et très irrégulier. Dans un tel contexte, nombreux sont ceux qui préféreraient utiliser leur voiture!
- Garderies. Sept dollars par jour, êtes-vous fou? Qu’importe si les Centres de la petite enfance (CPE) ont contribué à la hausse du taux de natalité. Non, non, payez mes amis. Oubliez ça, 35$ par semaine pour faire garder vos enfants; pensez plutôt à 35$ par jour, 175$ par semaine! Il ne faudrait quand même pas gaspiller un tel service en y envoyant « trop » vos enfants!
- Aide sociale. Quelle est la valeur réelle du B.S.? Nulle, diraient certains. Si on doit faire payer le « vrai » prix aux citoyens, il faut être conséquent et éliminer le B.S. Et ces gens, sans emploi, sans B.S., qui ne peuvent ni se faire soigner gratuitement, ni se faire éduquer, ni se déplacer, ni faire garder leurs enfants, que leur resterait-il? Le nombre de vols, de meurtres et de délits divers exploserait (les gens doivent se nourrir et on ne peut pas inventer 500 000 emplois demain matin).
Le beau programme. On rêve déjà, n’est-ce pas? Des quartiers entiers poussés dans la pauvreté, la précarité, des gens qui meurent faute de soins, le taux d’analphabétisme qui explose, une mobilité quasi-absente, des vols, de la misère, des riches qui s’isolent derrière des grilles pour se protéger de la rapace…
Mon grand-père, de son vivant, me parlait parfois de Ville Jacques-Cartier, sur la rive-sud, une bourgade dont le territoire compose le gros de l’actuelle ville de Longueuil. J’habitais à Longueuil, à l’époque, et il m’avait expliqué pourquoi à un certain endroit les rues n’arrivent pas les unes face aux autres: « À l’époque, qu’il me racontait, il y avait une palissade entre Longueuil, son électricité, ses rues asphaltées, son réseau d’égout et ses riches citoyens, et Ville Jacques-Cartier, avec ses rues de boues, ses bécosses, ses maisons délabrées. Ville Jacques-Cartier, c’était la misère noire. »
Ne voilà-t-il pas le comble du comble du paiement du coût « réel » de chaque service? Des quartiers trop pauvres pour avoir l’eau courante, des rues asphaltées… Et on ne parle pas ici des conditions épouvantables de santé ou d’éducation. Voilà ce vers quoi veulent nous amener les gentils idéologues de La Presse de Power Corporation. Tout pour les riches, qui peuvent se payer le coût réel, et rien pour les autres. Dislocation sociale 101.
Payer moins cher que le prix du marché, c’est aussi déclarer qu’un service est trop important pour laisser le jeu de l’offre et de la demande en dicter le prix. Ce n’est pas du gaspillage, mais une juste appréciation de la nécessité de protéger la classe moyenne et les plus démunis. Car à partir du moment où on accepte de hausser les tarifs d’un service aussi essentiel que l’électricité, on ouvre la porte aux pires excès et on redécouvre les plus grandes noirceurs d’un passé qu’on croyait loin derrière soi.
http://louisprefontaine.com/2009/12/19/hausse-tarifs-la-presse
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Hausse des tarifs: dislocation sociale 101