Or donc, aujourd’hui, période d’immédiateté forcenée, de buzz irréfléchi (ah, le beau pléonasme que v'là !) et autres cancers de l’information véritable, pour le journaliste lambda tout évènement, quel qu’il soit, du plus petit au plus grand, devient : “sans précédent”.
Il n’est pas anodin, bien évidemment, de spécifier tel que je le fais les mentions d’immédiateté et de buzz, ces vipères, vecteurs de sensationnalisme merdeux, attrape-couleuvres, tant elles sont désormais mamelles de l’information, ce qui, en l’occurrence, et je m’en excuse, car c’est faiblesse de jouer ainsi avec les mots, oui c’est faiblesse tant il est grave et sérieux le sujet, ce qui en l’occurrence, disais-je, pourrait expliquer que l’information, celle que l’on nous délivre au nom de ces saintes-mamelles, dans la forme comme dans le fond, va de mal en pis.
Passe encore pour un attentat, tel que, par exemple, ceux du 11 septembre 2001, dont on peut dire - car qui oserait prétendre le contraire ? - qu’ils sont “sans précédent” ! Ou de se retrouver encombré de millions de vaccins qu’on tente piteusement de refourguer ici ou là, imbécile et consentante victime d’un principe de précaution, splendide exemple de l’incompétence crasse de nos dirigeants, ceux-là même qui, hier, tançaient sans modération l’angélisme ou la naïveté de leurs adversaires, les voici enfarinés par les mêmes maux ; de la peur que sans cesse, ils inoculent au peuple, les voici arroseurs arrosés, jean-foutre en vérité, et pour l’éternité ; là oui, c’est “sans précédent”. A tous les niveaux. C’en est même effrayant.
De ceux-là, de “sans précédent”, j’en m’en accommode, je veux dire, j’en comprends l’usage, il est justifié. Mais quand - on y revient - elle se propage à tous faits, ladite expression, je m’encolère, il suffit ! y’a pas, faut le dénoncer, arrêter cette fumasse, cette comédie, qui, ça va, je l’ai bien saisi, tend à faire valoir tout évènement comme prodigieusement intéressant, comme (dans la plupart des cas) bigrement anxiogène.
Ainsi, témoin de cette dérive, ce lundi 4 janvier, sur France Info, 11h45, le journaliste nous annonçant qu’à Grenoble, il était tombé vingt centimètres de neige, et que c’était “sans précédent … depuis 2005”.
Avouez, qu’il fallait oser la balancer, celle-ci ! Faut la noter. Bien l'encadrer. Dans le genre, ça fait office de modèle ! Ca vaut son pesant. Le télégraphiste, l’a pas dit que c’était, par exemple et raisonnablement, une première depuis 4 ans, mais “sans précédent” … Y’a symptôme, moi j’dis !
Que la neige tombe, en janvier, à Grenoble, ancienne hôte des Jeux Olympiques d’hiver, pour sûr, ça n’étonnera personne ! Qu’il en tombe vingt centimètres, non plus ! En rien, cela ne constitue un évènement digne d’intérêt, je veux dire, au point de le faire mousser. Seulement vois-tu, avec le dernier joujou journalistique, l’expression “sans précédent”, tu peux monter en neige la plus merdouilleuse des informations. La présenter comme inédite. Comme du jamais-vu ! Depuis … 2005. C’est bien cette précision-là “depuis 2005” accolée au “sans précédent”, et pour un tel sujet, qui repousse les limites du grotesque et, autant le dire, du foutage de gueule caractérisé.
De la dérive.
On me dira, va savoir, que je chicane, je cherche noise pour pas grand chose, que ça ne vaut pas l’article, allons, n’y aurait-il pas d’autres et bien plus préoccupants sujets (le No Sarkozy Day, par exemple ? – Ah, mais j’ironise, voyons, je me gausse, et à raison, de ces troufigneurs de mouches qui croient, les roufions, jouir d’une quelconque influence, alors que non, ballepeau, que nib, mais cependant s’en paluchent, s’onanisment par communiqués dérisoires, risibles, ou, comme justement dit ici : ineptes. Non ! Quand je cause préoccupations, j’entends :) chômage, précarité, taffer jusqu’à 70 balais, assurance maladie trissante, déficits abyssaux, ah le bel héritage que nous léguons à nos très chers descendants, par égoïsme, si turlupinés que nous sommes par notre présent, étriqué, mesquin, l’immédiateté bon sang ! et rien alentours, et qu’ils crèvent les autres, ceusses du Sud et ceusses de demain, qu’ils en marnent, quelle importance, nous, on l’aura eu notre part ; d’accord ! les sujets qui font urgence, c’est pas ce qui manque, mais est-ce une raison, suffisante, légère, pour négliger le reste ? Et notamment, comment “LE” journaliste nous informe, de quelle façon et dans quels termes, où, faut-il le préciser, tout est pesé, à la virgule près, bref, où rien n’est innocent ?
Car je pris Grenoble, mais j’aurais pu, tout aussi bien, prendre un affaiblissement, une chute, un dispositif, des économies, un trou, une décision, c’eut été la même prose : toutes désormais, j’exagère à peine, sont, deviennent, des informations “sans précédent”. Et si on ne le relève pas séance tenante, bientôt, le soleil se levant nous sera présenté comme un évènement “sans précédent .. depuis hier” !
Oui, si devant tant de bêtises (je devrais dire : de désinformation, tant nous la frôlons par distorsion linguistique) on se tait, on fait comme si, ma foi, ça n’avait point d’importance, alors qu’il s’agit de l’essentiel, de l’aigu, informer en bonne et due forme le concitoyen, alors demain, il n’y aura plus d’information digne de ce nom. Car à considérer que tout est “sans précédent” cela équivaut à (nous) dire que tout est sensationnel. Tout est nouveau ! Tout est matière à scoop ! Mais au final, à l’arrivée : tout est discrédité. Bafoué. Dénaturé. Tout devenant ignominieusement égal. Le taux de chômage galopant comme vingt centimètres de neige à Grenoble un 4 janvier. Ou une “vague” de suicides.
A ne pas la dénoncer, cette dérive (qui n’est pas orpheline, il y en a tant et tant d’autres du même acabit, et qui poursuivent le même but : transformer tous faits – même divers, ici d’hiver – en évènement, au détriment, il faut le croire, de ceux réellement dignes d’intérêt) à ne pas s’insurger contre cette prolifération à vau-l’eau de “sans précédent” (également notable, et à foison, chez la classe politique, au même titre que les expressions fourre-tout : “sans tabou” et “sans a priori”) nous aurons, demain, prochainement, déjà, une information dévitalisée, désossée, au sens premier, insensée. Là, est le danger. Il n’est pas, lui, “sans précédent”. A la seule condition de le combattre, maintenant.