L’essor fulgurant du commerce en ligne ces deux dernières années (voir le billet d’Alain Rallet) n’a échappé à personne . Les raisons invoquées, outre l’environnement technologique favorable propre à la France championne du haut débit pour tous, insistent beaucoup et vraisemblablement trop sur la crise économique.
Il est sans doute exact que la quête du meilleur prix pour un produit donné soit facilitée par les instruments de recherche et les comparateurs de prix. Il est vrai aussi que certains grands sites marchands, forts de leurs frais fixes réduits, de leur assortiment immense et de leurs interfaces soignées, ont accrédité dans le grand public l’idée qu’Internet était souvent « moins cher ». Mais parions aussi que, si nous étions en période d’« euphorie » économique et de croissance forte, le commerce en ligne se porterait aussi très bien. Parce qu’il correspond à une réalité des modes de vie et de consommation. C’est là que les produits technologiques sont le plus vendus, mais aussi analysés, comparés par des passionnés, des consommateurs (vrais ou faux), des revues en ligne et des blogs de spécialistes. Et, grâce aux capacités « multitâches » de nos postes de travail, le cadre supérieur débordé peut intercaler l’achat d’une montre pour l’anniversaire de sa femme qu’il a failli oublier, la contemplation de l’état de ses prospects et la rédaction d’une note de procédure.
Et plutôt que d’errer avec ses caddies dans la foule d’une grande surface le samedi, n’est-il pas tenté de renvoyer en deux minutes sur Internet, après le spectacle, le « panier » de commande qu’il a péniblement établi une première fois (avec, il est vrai, quelques inconvénients sur la diversité des menus familiaux).
Tout cela est évident et bien connu. Ce qui l’est moins c’est que, peut-être, ce mouvement ne va pas éroder globalement la place du commerce et du service « traditionnels » mais rebattre les cartes et créer de nouvelles alliances. Tout cela à cause des deux points faibles du commerce électronique : la livraison, le « dernier kilomètre », d’une part, l’absence de conseils et de services annexes à la vente, d’autre part.
En ce qui concerne la livraison, tout se passe relativement bien pour les objets de taille réduite et pour les biens pondéreux et volumineux, dont la valeur est suffisante, ainsi que la marge globale de distribution, pour justifier d’intégrer dans le prix le coût non négligeable de la dépose à domicile. Reste un problème pour la clientèle urbaine à haut pouvoir d’achat : les horaires. Mais quand il s’agit d’un substitut aux courses quotidiennes, alimentaires, produits frais, produits d’entretien, etc, le coût logistique devient souvent démesuré au regard de la marge, surtout si on veut répondre à la demande de la clientèle quant à la précision des horaires et qu’on procède à partir d’un gros centre de regroupement péri-urbain.
En ce qui concerne le second point, il est évident qu’on peut trouver aisément à commander sur Internet des produits très pointus qui vont de la fenêtre sur mesure au pneu neige de la dimension particulière de votre véhicule ou à la chaudière à bois à haut rendement. Ceci avec une palette de choix, une liberté d’appréciation et éventuellement des conditions financières sans comparaison. Mais que faites-vous lorsque vous trouvez devant votre porte 4 énormes pneus ou une palette de 8oo Kgs avec une notice de montage complexe ?
La solution commune à ces deux problèmes commence à se dessiner par le développement d’accords de collaboration entre sites de ventes en ligne et commerce ou artisans de proximité (proches du client en un mot) qui assurent complémentairement à leur adresse principale soit le simple accueil/livraison, soit la prestation de services complémentaires. Par exemple, vous vous faites livrer votre volumineuse commande alimentaire, équivalente à deux caddies de supermarché, à la station service du coin où vous passez en rentrant chez vous. Ou bien le vendeur de pneus japonais haute performance les livre à un réseau d’entretien automobile qui en assure la pose dans son franchisé le plus proche. Ces solutions ingénieuses semblent aller de soi mais ne sont pas sans conséquences considérables sur bien des aspects de la vie commerciale.
Dans une certaine mesure, le site commercial en ligne devant un grossiste qui vend directement au particulier, une « centrale d’achat » pour ces derniers et non plus les ;
Les commerces et services de proximité regagnent de la clientèle et des parts de marché, mais à condition de faire partie de réseaux qui doivent savoir négocier de tels accords ;
L’avantage comparatif d’avoir un accès facile aux particuliers et notamment des possibilités de stationnement reprend un poids considérable, le « dernier kilomètre » étant assuré finalement, comme dans la grande distribution classique, par le client. Evolution un peu paradoxale encourageant le déplacement automobile pressé.
Il faut donc suivre attentivement ce phénomène qui en est à ses premiers développements et ne sera pas sans conséquences et interrogations urbanistiques, sociales et juridiques. En en notant au moins le côté positif, les capacités d’adaptation de certains magasins de proximité à une nouvelle donne…