La première partie est ICI.
Je poursuis donc à la hussarde cet impromptu foutraque emphatiquement nommé mystère, sans crainte (« on est au XXI° siècle, tout de même ! » comme disent les progressistes) d’ajouter l’indigence à la caricature…
3.
Il est dans un fauteuil, tranquille, et il parle à la caméra.
LE PERE NOEL. – Je voudrais vous raconter comment je suis devenu qui je suis. Au début nous étions deux. Il y avait Saint Nicolas et moi. J’étais sec comme un coup de trique et je portais un uniforme noir impeccable. Nous nous retrouvions le 6 décembre. Il distribuait des cadeaux aux enfants sages et moi des martinets aux enfants pas sages. Qu’est-ce que je l’enviais, putain de merde. Il était là, tout en rouge avec sa crosse d’évêque et sa barbe et son air d’être sûr de lui. J’avais toujours le mauvais rôle, et les enfants qui chialaient devant le martinet dans leurs godasses au matin savaient trop bien mon nom. Le Père Fouettard. J’ai profité que quelque part dans le nord et l’est de l’Europe la réputation des saints s’effondrait considérablement pour lui briser sa crosse catholique sur la tronche et l’étrangler. Puis j’ai pris son costume et l’ai passé. Plus c’est gros, mieux ça marche. Et j’ai fait ce que j’avais à faire ; j’ai gâté les enfants à mort et ils étaient toujours contents de moi – ils m’aimaient ! ou du moins, ils voulaient que je revienne : ils n’en avaient jamais assez, les petits salopiots ; je me suis vengé de toute la sursalope réalité que notre ancien tandem faisait métaphoriquement exister. Il y avait là un putain de créneau. De la parpaillote Amsterdam, je suis parti aux States tout neufs où ils m’ont vite appelé Santa Claus, les cons. Tout marchait comme sur des roulettes : j’étais leur dernier Saint, à eux qui n’y croyaient plus ! Ah, ah, j’étais la Communion des Saints à moi tout seul ! Et j’ai pu pourrir les enfants sur une plus grande échelle et j’ai pris un malin plaisir, bien sûr, à pourrir encore et toujours plus les plus pourris d’entre eux. J’avais une meilleure tête : l’opulence à moi aussi m’avait pouponnisé la tronche et arrondi le bidon. On m’a rapproché de Noël. Car Noël était en passe de devenir la fête des enfants. Parce qu’ils méritent bien d’être pourris du départ. Tous. L’époque avait génialement tourné à l’infantilisme hygiénisé, à la pédophilie platonique. En même temps, qu’est-ce qu’ils pouvaient bien en avoir à foutre, maintenant, de s’identifier à un bébé chétif dans une mangeoire de merde et qu’on allait foutre au supplice trente ans plus tard ? Alors qu’il y avait tellement de bonnes choses à se payer tout de suite, et qu’on les avait pour ainsi dire sous la main. Un marchand de soda industriel a trouvé son intérêt à me relooker encore et à me balancer all over le vaste world. Et je suis finalement devenu Dieu à la place de Dieu. Je suis là pour que vous oubliiez tout le reste, après tout. Et il n’y a rien d’autre à savoir. That’s all, folks.
Il rit.
On éteint la caméra, et le type déguisé en Père Noël commence de retirer son costume.
LE CAMERAMAN. – On va garder celle-là, c’est la moins dégueulasse.
LE TYPE, qui donc jouait le Père Noël. – Ouais. Ce qu’il faut pas faire pour bouffer, merde.
LE CAMERAMAN. – C’est qu’il faut vraiment donner une image dégueulasse des enculés qui n’aiment pas le Père Noël. Toujours les mêmes vieux ronchons. Et comme tu avais vraiment l’air mauvais là-dessus, c’est au poil.
LE TYPE. – Ouais.
LE CAMERAMAN. – On enchaîne dans un quart d’heure avec la fille à poil.
LE TYPE. – Ouais. Ça va me laisser le temps de lire un peu.
Il prend son bouquin de Max Weber tandis qu’entre une greluche à poil.
LA FILLE. – C’est bien ici pour la pipe ?
4.
Dans un café de quartier. Le mystère après tout se rit peut-être de l’espace et du temps qu’il fait à fantaisie obéir à la seule parole, et voilà notre brave bon Dieu en toc de Père Noël rendu à son invisible ubiquité prétendue, faisant de deux pauvres imbéciles devisant agrippés au comptoir d’ineptes théologiens ignorant l’être…
PREMIER IMBECILE. – Le problème, hein, regarde, c’est l’économie.
DEUXIEME IMBECILE. – L’économie ?
PREMIER IMBECILE. – Oui. Du point de vue de l’économie marchande, et jusqu’à ce qu’une ordure de Prix Nobel nous quantifie jusqu’au bonheur ! le don n’existe pas : il ne se chiffre pas. Le fait que tu offres à tes gosses une foultitude d’objets idiots manufacturés (sic) en Chine, dont ils n’ont nul besoin, ou une bouteille d’un passable cognac en promo à ton géniteur, ne la concerne absolument pas, l’économie. Ce qui existe, c’est seulement la somme d’argent, son chiffre, que tu donnes à un commerçant, qui lui-même a acheté la camelote à un autre, etc… et que tout cela se balade dans la réticulation invisible de ce monde, toute cette architecture invisible et aléatoire du Système sous lui et qui le fait se maintenir, non sans heurts, certes, non sans heurts…
DEUXIEME IMBECILE. – Tu veux dire qu’il y a seulement un moment de surconsommation. Mais ça, tête de nœud, tout le monde le sait.
Ici, d’un geste, ils recommandent des bières et ça ne doit pas être les premières, hein.
PREMIER IMBECILE. – Oui, je sais, mais laisse-moi finir. Il y a donc ce moment où, religieusement, tout l’Occident fait une manière de cadeau somptuaire au Système ! Où chaque personne disposant d’un peu de pognon, et jusqu’aux pauvres mêmes, sacrifie religieusement au rite, lequel consiste à injecter du pognon dans le Système, à nourrir l’énorme Moloch, à engraisser Mammon, ce Dieu-père invisible dont le Père Noël lui-même n’est que le Fils (d’où la surabondance au moment de Noël dans les rues et centres commerciaux de ses représentations, généralement incarnées dans la réalité, superbe ironie, par des prolétaires en voie de marginalisation) et le Système l’Esprit.
DEUXIEME IMBECILE. – C’est ça qui est réjouissant. Voir des tas de gens que leurs croyances et opinions différencient à plein communier tous ensemble ! De l’athée qui ne croit en rien du tout sauf aux droits de l’homme divinisé, au brave syndiqué anti-capitaliste pour qui le capital-voilà-l’ennemi et qui rêve encore que l’ascenseur social fera de ses gosses des lecteurs du Monde diplo, au chrétien affadi qui aurait bien aimé penser deux secondes au pote Jésus en écoutant l’homélie de Noël manifestement co-écrite par Oui-Oui et Olivier Besancenot, en passant par les non-chrétiens qui se retrouvent, puissance de feu commerciale « oblige », à fêter mollement une fête qu’ils identifient encore comme chrétienne, les pauvres, et jusqu’à l’homme d’affaires sans transcendance aucune qui, plus niaiseusement encore, se fait pardonner ses absences en couvrant de merde molle ses enfants, qu’il aurait tellement aimé aimer… tous participent de cette vivifiante liturgie neuneu de Papa Noël à cadeaux, tous ! et aucun n’y croit ! Et tous, pourtant, ils sont le Père Noël d’un autre.
PREMIER IMBECILE. – Ouais. Et en même temps, tout cela se fait sur du don. On donne. On offre. Il y a de l’amour, tout de même. Les yeux émerveillés des petits enfants au matin. Comme ils sont gâtés, les chéris. C’est-à-dire pourris. Gloire de la lâcheté et refuge ultime de la honte, peut-être aussi, ce père qui se planque derrière le Père Noël parce qu’il se sent l’obligation – en effet, la propagande ne cesse pas de lui enjoindre cela – de pourrir lui-même ses gosses, et de les pourrir davantage encore qu’il n’a lui-même, enfant, été pourri. Bref, l’homme est un Père Noël pour l’homme – la citation latine manque.
DEUXIEME IMBECILE. – Oui. De l’amour comme une obligation. Et de l’amour foutument vénal des petits enfants au matin comme combustible morbide. Oui. On peut finalement le quantifier, cet amour. Tout le surplus de consommation du mois de décembre, c’est le chiffrage de l’amour. Dans la monnaie que tu veux. L’eurolove, par exemple, comme il y a le pétrodollar. Tant de milliards d’euroloves ont été versés au Moloch cette année ; c’est légèrement plus que l’année dernière, même si le pouvoir d’achat des Européens a globalement diminué. Autant dire que l’amour au jeu de la surenchère croît formidablement dans notre monde et que les raisons d’espérer croissent et se multiplient… Et toi, au fait, tu lui as offert quoi, à ta femme ?
PREMIER IMBECILE. – Ben, euh, un sex toy, pourquoi ?
DEUXIEME IMBECILE. – Laisse, vieux, c’est ma tournée.