Giulietta Masina, La Strada (photo de tournage, coll. Fondation Fellini pour le cinéma)
Suggestion pour bien commencer l’année 2010 : passer une paire d’heures dans l’univers de Federico Fellini, qui a pris ses quartiers au Jeu de Paume jusqu’au 17 janvier. C’est une expo agréable et ludique. Elle rassemble un capharnaüm de caricatures de jeunesse, croquis de travail, photos et extraits de films, coupures de presse, pages de romans-photos, affiches, courrier…le tout classé thématiquement pour entraîner le spectateur dans un monde foisonnant, tour à tour grotesque ou pathétique, érotique ou onirique.
La première partie de l’expo, située au rez-de-chaussée, est une illustration plus stricte du sous-titre « la Grande Parade ». C’est la fascinante farandole – ou le défilé, comme Fellini les affectionnait, qu’il s’agisse du cirque ou des processions ecclésiastiques – des êtres bizarres, caricatures vivantes se définissant elles-mêmes comme felliniennes, guettant chaque nouveau tournage de Fellini, annoncé en ces termes dans les journaux : « Fellini recevra tous ceux qui souhaitent le voir ». Fellini, ne sachant pas dire non, les recevait tous et voyait mille figurants pour en retenir deux. Se formait ainsi une véritable cour des miracles devant ces bureaux, faite de nains, d’enfants qui voulaient devenir clowns, de jeunes filles naïves et drôles, de femmes à la beauté funèbre et de vieillards patibulaires. Dans un film que Fellini tourna pour réfléchir sur les rapports qu’il entretenait avec ses figurants, on voit tout à coup apparaître au fond du couloir la silhouette fantastique d’un géant, dont la voix caverneuse résonne contre les murs qui semblent soudain plus proches : « Signorina, may I speak to M. Fellini, please ? ». Puis apercevant Fellini, il avance derrière l’assistante, se penche en avant vers la caméra et demande : « M. Fellini, do you have any work for me in your new film ? ».
La ronde des phénomènes de foire se prolonge jusque dans les années 1980 avec la ribambelle de sosies dans Ginger et Fred (1986). Les fausses publicités qui entrecoupent le film résonnent comme un écho de celle des Tentations du Docteur Antonio (1962) qui invite, par le truchement d’une Anita Ekberg très décolletée, à « boire plus de lait ».
Affiche italienne de Fellini Roma (coll. Fondation Fellini pour le cinéma)
Cette fascination pour le cirque, le hors norme, les marginaux quels qu’ils soient, riches ou pauvres, starlettes ou prostituées, déborde de la réalité pour confiner au mythe, dionysiaque notamment. La scène de rock n’ roll endiablée au Caracalla’s dans La Dolce Vita (1960), exécutée par un acteur grimé en satyre pour les besoins d’un film en cours de tournage et accompagné de la starlette américaine Sylvia, double d’Anita Ekberg, beauté colossale dansant pieds nus comme une bacchante, renvoie à l’arrivée de cette nouvelle danse dans la péninsule. Les journaux de l’époque rapportent que le couple de danseurs noirs qui avaient été invités à se produire dans un club huppé, las de ne susciter qu’un engouement de circonstance, porta le spectacle dans la rue, d’abord au bas de la place d’Espagne, provoquant un attroupement, puis place du capitole, au pied de la statue équestre de Marc Aurèle, éclairés par les phares de quelques voitures.
D’Anita Ekberg, dont la beauté fut qualifiée de surhumaine par Fellini, à Mathilde, la prostituée plantureuse des Nuits de Cabiria (1957), dont il accentue encore les courbes par des prothèses, en passant par la Rome de la première moitié du XXème siècle mise en scène dans Fellini Roma (1972), se tisse une parenté sourde entre la prostituée, la pin-up devenue starlette et la louve, mi-prostituée mi-figure tutélaire et maternelle incarnant Rome.
Fotobusta, La Dolce Vita (coll. Fondation Fellini pour le cinéma)
La Réalité comme source d’inspiration, mais dans ce qu’elle a d’inédit, de scandaleux ou d’extraordinaire. Le kaléidoscope de la vie des oisifs romains qu’est La Dolce Vita emprunte à l’été 1958 l’effeuillage d’une danseuse turque, dans un club fréquenté par le gratin romain et les riches étrangers de passage, pour créer la scène du strip-tease de Nadia. Celle de l’hélicoptère transportant une statue du christ jusqu’au Vatican rappelle quant à elle les exploits contemporains de ce moyen de locomotion qui faisait sensation en couverture.
A mesure que Fellini remplit les pages de son Livre des rêves, où il raconte et illustre ses songes, et qu’il utilise davantage les possibilités du studio, comme la maîtrise de la lumière qui lui permet de bénéficier de la même liberté que le peintre, les images se teintent de souvenirs modifiés par l’imagination, la mythologie devient personnelle, jusqu’aux quelques scènes de son film abandonné Le voyage de G. Mastorna (1990).
Fellini revisite également les mythes qu’il a créés, tel celui du couple Mastroianni / Ekberg en recadrant dans Intervista (1987) la scène de la fontaine de Trevi autour des visages des protagonistes pour la rendre enfin fidèle à l’affiche, qui montrait un baiser qui n’exista jamais que dans l’imagination des spectateurs – et celle de celui qui retoucha l’affiche, afin que les lèvres se touchent.