Fini le temps des best of, des flops, des rétrospectives de l’année 2009, le cinéphile que je suis a remis dimanche matin son ouvrage sur le métier.
Le 7ème art m’a particulièrement gâté en ce début du mois de janvier 2010. J’ai eu le privilège d’assister à la projection du long métrage de Jaume Collet-Serra, "Esther".
Moi qui souvent vilipende ce genre de procédé, je trouve que pour une fois le titre français est nettement plus approprié que "Orphan" ("L’orpheline") en version originale, à mon goût trop générique. L’idée était peut être aussi de ne pas créer de confusion dans l’esprit des spectateurs avec "L’orphelinat" de Juan Antonio Bayona.
La bande annonce m’a réellement impressionné et je suis demeuré pendant de longs mois en éveil, guettant la sortie de ce film. Mon attente a été récompensée.
C’est vraiment la très bonne première surprise de l’année.
"Esther" est excellent thriller psychologique, une œuvre dotée d’une identité propre. Un travail atypique dans un 7ème art aseptisé.
Kate Coleman (Vera Farmiga) a accouché d’un enfant mort né. Aidé par son mari John (Peter Sarsgaard), elle tente de reprendre le dessus. Le couple, qui a déjà deux enfants dont une petite fille sourde, entame les démarches pour adopter un enfant. La présence d’un nouvel être devant "combler" le vide laissé par le cruel décès du nouveau-né.
A l’orphelinat Kate et John sont attirés par une petite fille introvertie, Esther (Isabelle Fuhrman). Cette dernière s’installe chez ses nouveaux parents quelques semaines plus tard.
La situation semble idyllique. Mais peu à peu la mystérieuse personnalité d’Esther se fait jour. La jeune fille semble cacher un terrible secret.
Seule Kate semble y voir clair. Elle tente d’avertir son entourage.
Mais Esther veille au grain…
La qualité première de ce film est de nous proposer des situations ordinaires, des tranches de vie on ne peut plus simples qui basculent dans le drame le plus sombre. Car "Esther" n’est pas un long métrage fantastique ou d’horreur mais une œuvre d’ambiance avant tout. Ne vous imaginez pas voir tourner des tables ou entre apercevoir des esprits virevoltants.
L’histoire est saisissante de ces situations rationnelles que l’on ne trouve que très rarement au cinéma. Plutôt que de miser sur une surenchère d’effets spéciaux, le metteur en scène préfère nous plonger au cœur d’un univers quotidien qui va se révéler pour le moins étouffant, pesant.
Dans "Esther", le climat ambiant agit comme un piège infernal sur une famille touchée récemment par le malheur. Au départ le bonheur semble régner. Puis tout ce formidable château de cartes s’écroule. Quand le vernis de bons sentiments craque, la terrible Esther nous apparaît sous un jour terrible.
C’est en ce sens que le scénario est si brillant. Le récit proposé ne ressemble à aucun autre. Pourtant ce n’est pas la première fois que le cinéma nous confronte à des enfants terribles, des meurtriers en puissance, des âmes damnées. L’originalité de ce film est de procurer des sensations fortes aux spectateurs avec des éléments basiques, des moments de vie palpables, vrais et entiers qui dégénèrent pour le plus grand malheur des protagonistes.
On ressent très vite l’ambiguïté des situations, le drame qui se profile dès qu’un personnage se met sur la route de cette petite fille, si innocente en façade, dont le passé est pour le moins trouble.
"Esther" est un long métrage qui se tient du début à la fin. Le tort de certains cinéastes est d’essayer de nous en mettre plein la vue à certains moments et d’opérer des choix contestables dans le décpupage de leur travail.
Le véritable tour de force de Jaume Collet-Serra est de maintenir le rythme de son film pendant deux heures. L’ouverture est absolument admirable, le plat de résistance est consistant et maîtrisé alors que le final se révèle original et fascinant.
De nombreuses péripéties, jamais gratuites, entretiennent un tempo réglé comme du papier à musique. L’action rebondit sans cesse. Le metteur ne se livre pas à mise en images exhaustive de situations inquiétantes mais appuie là où ça fait mal à l’occasion de cinq ou six moments véritablement bien choisis qui nous glacent d’effroi.
La réussite tient aussi au fait que le metteur en scène se joue des codes en vigueur, des sacro saintes conventions et avec nos nerfs de manière perverse. Il nous fait peur à des moments où nous nous y attendons le moins. Le spectacle sursaute, trépigne sans que rien ne l’ait préparé à l’avance.
Jaume Collet-Serra fait rebondir perpétuellement l’intrigue de son film avec des duos, parfois même des trios entre acteurs qui donnent du tonus à l’ensemble. Les rapports de séduction, très bien agencés, entre le père et la fille complètent admirablement bien les relations tendues puis de haine entre la mère et Esther. Les personnages sont traités avec intelligence et profondeur.
L’alcoolisme, la séparation, l’infidélité ne sont pas évoqués de manière anecdotique, histoire de, mais constitue un lourd arrière plan qui pèse sur l’évolution et sur les liens de ce couple.
La thématique du handicap n’est pas introduite de manière gratuite dans "Esther" mais relève d’une vraie démarche pour donner de la consistance à l’un des personnages du film. La plus jeune fille du couple Coleman (interprétée par Aryana Engineer) souffre de surdité. Esther se sert de l’absence de paroles pour bâtir une complicité de circonstance entre les deux jeunes filles.
L’utilisation de la langue des signes nous réserve aussi des instants visuellement magnifiques. Au-delà des paroles, conventionnelles et parfois trop restrictives, se développe une communication parallèle dans laquelle les uns et les autres s’y expriment avec plus de liberté et de franchise.
Mais la plus belle réussite de Jaume Collet-Serra est de nous proposer un protagoniste hors normes, absolument terrifiant, j’ai nommé la terrible Esther. La jeune fille est méchante, manipulatrice, menteuse, diablement intelligente, sans morale ni éthique. Elle n’épargne aucun coup bas à son entourage. Son cœur et son âme sont noirs comme de l’encre. C’est une gamine qui n’hésite pas à verser le premier sang dés que son espace vital semble en péril.
Le metteur en scène n’en fait pas des tonnes dans ce domaine. Cette Esther nous fait parcourir un frisson glacé dans le dos. Cela faisait des lustres que je n’avais pas ressenti de la répulsion pour un être de fiction. Le tour de force est incroyable.
Le personnage d’Esther bénéficie surtout de l’hallucinante composition d’Isabelle Fuhrman. Le rôle est très lourd à porter et la jeune fille est plus que bluffante. En une seule scène l’actrice est capable de nous gratifier d’un sourire angélique et d’avoir sur le plan suivant une dureté de visage terrifiante. Ses regards se montrent pénétrants et persuasifs. Ses crises de folie et la froide détermination dans l’action ne sont que les nombreuse facettes d’un personnage jamais surjoué mais diablement convainquant.
Vera Farmiga et Peter Sarsgaard sont crédibles de bout en bout. Leurs relations de couple puis leurs non relations bénéficient du talent et du professionnalisme des deux acteurs. Leur déchirement est palpable à l’écran quand le doute, introduit pas Esther, remplace l’amour.
"Esther" est un film plus que réussi. Un thriller psychologique où les faits montrés, parfois horribles, voisinent avec des éléments suggérés (le passé d’Esther). La tension ne se relâche jamais. Jaume Collet-Serra évite la facilité et les pièges classiques (la fin heureuse traditionnelle même si cette dernière l’est dans une certaine mesure). Son travail est remarquable.
Un long métrage à voir absolument.