Shalom, le narrateur qui ressemble beaucoup à l’auteur lui-même, attend la naissance de son premier fils. Se pose alors pour lui l’angoissant problème de la circoncision : fera-t-il subir cette opération à son enfant comme lui-même l’a subie, ses parents étant non seulement juifs mais faisant partie de la plus stricte des orthodoxies juives, dans la région de New York, ou l’évitera-t-il puisque lui-même est en rébellion contre sa famille, son éducation religieuse, ses traditions et surtout contre ce Dieu tout-puissant et toujours prêt à punir dont les menaces virtuelles le poursuivent sans cesse, lui gâchant la vie ?
Ainsi repense-t-il à sa vie passée d’enfant hassidique entravée par mille interdictions et surtout l’obligation du shabbat où l’ennui lui suggérait les pires tentations de chapardage, de nourriture non casher, de lectures porno, de blasphèmes variés et de mensonges sans fin. Entre un père violent et alcoolique qu’il croit détester et une mère perdue dans ses rêves de décorations d’intérieur avortées, il oscille constamment entre interdits et provocations, croyances et révoltes, doutes et affirmations de soi, pesanteur du passé douloureux des pogroms et des holocaustes, désir d’un avenir plus doux, plus souple, plus souriant, loin des familles et des rabbins qu’il ne veut plus fréquenter.
Où est le problème dans ce cas ? Pourquoi suivre une tradition qu’on déteste ? Pourquoi ne pas tout renier de sa religion comme on en a envie ? Ce serait trop simple justement et il n’y aurait pas d’histoire !
« Tenter ma chance ? Etais-je devenu fou ? Avec un Dieu pareil ? Mister Vengeance ? Mister Déluge ? Mister Holocauste ?
Si je trouvais un filet qui nous protégeait de Dieu, je ne penserais même pas à circoncire notre fils »
Autrement dit, voici le problème : ne pas circoncire son fils, en rompant la tradition, n’est-ce pas le condamner à mort, d’une façon ou d’une autre ?
Le problème est là, en effet, dans son subconscient ! Il se sent responsable de tout le mal qui peut survenir autour de lui par sa faute ! Coupable, c’est un éternel coupable ! Ce sentiment le paralyse ! Il se sent constamment épié par l’œil d’un Dieu qui voit tout ou par ses anges ou par … n’importe qui ! Surveillé en permanence ! D’où la nécessité de s’en sortir par cet humour typiquement juif , fait avant tout d’autodérision sur fond d’angoisse permanente, que l’on retrouve chez tant d’autres artistes comme Woody Allen , Philip Roth et tant d’autres ! J’aime ce personnage humain, si humain avec son parcours tourmenté et chaotique, si particulier pour moi qui ne connais pas vraiment bien la religion juive et encore moins les traditions orthodoxes dont il est question ici mais qui éprouve aussi trop souvent ce sentiment de culpabilité diffuse, due à une éducation chrétienne très sévère !
J’aime aussi qu’il explique la naissance de sa vocation d’écrivain par cet ennui rituel des longs samedis passés à ne rien faire, sous l’œil vigilant et implacable de son père ! Il passait son temps à lire les étiquettes des produits posés sur la table, puis de là , son esprit vagabondait, et se mettait à imaginer d’autres vies, d’autres personnages et une histoire nouvelle prenait forme. Ainsi passait le temps des détestés shabbats de sa jeunesse.
« N’étaient autorisés que manger, dormir et lire, mais j’avais beau prendre une cargaison de livres à la bibliothèque le vendredi après-midi, je les avais tous finis le soir venu et, en conséquence, je me retrouvais écroulé sur la table de la cuisine le samedi après-midi, entrain de relire d’un œil torve, et pour la dix-millième fois, le côté de la boîte de beignets Entenmann. L’histoire de la compagnie Entenmann, le prix de la livre de beignets Entenmann, la composition des produits Entenmann… Je connaissais plus de choses sur leur compte que la plupart des membres de la famille Entenmann, à coup sûr. »
Alors que va-t-il décider ? Circoncire l’enfant ou pas ? Pas question de le dévoiler ici !
Mais voici les dernières phrases qui ne divulguent rien mais m’amusent bien aussi comme le reste :
« C’est pourquoi je T’en supplie Dieu : ne tue pas ma femme à cause de ce livre. Epargne mon fils, épargne mes chiens…Ce n’est qu’un foutu bouquin après tout.
Désolé. »
Livre à déguster pour le plaisir de plaindre et de sourire sur un sujet grave: la transmission des valeurs et des croyances familiale, les relations père-fils ! L’humour naît sur un fond de désespoir!
L’auteur : Shalom Auslander est né à Monsey, dans l’Etat de New York, dans une famille juive orthodoxe. " La Lamentation du prépuce" est son premier livre. Il vient de faire paraître en 2009 un recueil de nouvelles, « Attention Dieu méchant ». Il vit à New York avec sa femme et leur fils.
Livre lu dans le cadre du Prix Indiana, Prix des Blogueurs
L'ont lu également dans ce cadre: Madame Zaza, Elizabeth,
La lamentation du prépuce par Shalom Auslander (10/18, 2009, 306 pages) Traduit de l’américain par Bernard Cohen, Dessin du Telegraph.com.UK.