Photographie 1 : Gravure du XVIIIe siècle provenant du Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de l'Encyclopédie Diderot et d'Alembert, de la partie consacrée aux 'Arts de l’habillement’. Le titre est 'Marchande de Modes', avec en son haut la représentation d'une boutique.
Photographie 2 : Comédie en un acte intitulée La Marchande de modes de la comtesse de Genlis (1746-1830) d'une édition datant de 1780.
Dans son Manuel historique, géographique et politique des négociants …
(1762), Jean Paganucci donne cette définition de ce métier : « On appelle Marchandes de modes celles qui travaillent aux ajustements des Dames, & qui vendent tout ce qui y a
rapport. » La Marchande de modes invente et colporte les modes dans une boutique ou en se rendant chez ses clientes en particulier lors de leur toilette matinale. Elle est au faîte des
nouveautés, et s’habille en conséquence. Elle occupe une place primordiale dans la mode du XVIIIe siècle, mais disparaît peu à peu au XIXe, avec l’apparition des grands magasins et
l’assagissement des ornements. La mode engendre de nombreux grands et petits métiers qui ont leurs élégants connaissant les dernières pratiques à la mode. Certaines importantes marchandes de
modes (ou de grandes couturières) sont connues. Dans Tableau de Paris (seconde moitié du XVIIIe siècle), Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) écrit : « Rien n’égale la gravité
d’une marchande de modes combinant des poufs, et donnant à des gazes et des fleurs une valeur centuple. […] C’est de Paris que les profondes inventrices en ce genre donnent des lois à
l’univers. La fameuse poupée, le mannequin précieux, affublé des modes les plus nouvelles, enfin le prototype inspirateur passe de Paris à Londres tous les mois, et va de là répandre ces
grâces dans toute l’Europe. Il va au nord et au midi : il pénètre à Constantinople et à Pétersbourg ; et le pli qu’a donné une main française, se répète chez toutes les nations, humbles
observatrices du goût de la rue Saint-Honoré ! […] Les nations voisines ont beau vouloir nous imiter ; la gloire de ce goût léger nous demeurera en propre. […] Ces amusements de
l’opulence enrichissent une foule d’ouvrières ». Il s'agit des petites mains de la mode : grisettes, cousettes puis mimis, trottins, midinettes ... De nombreux textes expliquent combien les
employées, les petites marchandes de mode et celles qui gardent la boutique, sont très jolies. Certains viennent rue Saint-Honoré ou ailleurs non seulement pour acheter mais aussi pour profiter
de leur beauté et compagnie.
Qui donc est plus au courant de la mode que la marchande de modes qui l’invente ? Elle est à la fois artiste, chef d’entreprise, esthète … Elle vend en particulier des rubans, gazes, bonnets et ornements. Pour la compléter s’ajoutent la couturière, le corsetier ou tailleur de corps, le coiffeur. On peut citer d’autres métiers comme le gantier ou le fabriquant de chaussures, le bijoutier, le mercier, la marchande de linges … Au XVIIIe siècle, la rue Saint-Honoré et le Palais Royal offrent les principales grandes boutiques de France de ces métiers.
Photographie 3 : Titre de la partie consacrée à la marchande de modes de l'Art du tailleur, Contenant le Tailleur d'habits d'hommes, les Culottes de peau, le Tailleur de corps de femmes & enfants, la Couturière, & la Marchande de modes, par M. de Garsault, provenant du tome XIV de Descriptions des arts et métiers : Contenant l'art du perruquier, l'art du tailleur, renfermant le tailleur d'habits d'hommes, les culottes de peau, le tailleur de corps de femmes & enfants, la couturière & la marchande de modes, l'art de la lingère, l'art du brodeur, l'art du cirier … de Jean-Elie Bertrand, édité par l'imprimerie de la Société typographique, 1780.
Photographie 4 : Marchandes de modes, chapitre de Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier, tome III, nouvelle édition corrigée et augmentée de 1783.
Dans Tableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier occupe tout un chapitres aux : « Marchandes de modes. Assises dans un comptoir, à la file l'une de l'autre, vous les voyez à travers les vitres. Elles arrangent ces pompons, ces colifichets, ces galants trophées que la mode enfante et varie. Vous les regardez librement, et elles vous regardent de même. Ces boutiques se trouvent dans toutes les rues. A côté d'un armurier qui n'offre que des cuirasses et des épées, vous ne voyez que touffes de gaze, des plumes, des rubans, des fleurs et des bonnets de femme. Ces filles enchaînées au comptoir, l'aiguille à la main, jettent incessamment l'œil dans la rue. Aucun passant ne leur échappe. La place du comptoir, voisine de la rue, est toujours recherchée comme la plus favorable, parce que les brigades d'hommes qui passent offrent toujours le coup d'œil d'un hommage. La fille se réjouit de tous les regards qu'on lui lance, et s'imagine voir autant d'amants. La multitude des passants varie et augmente son plaisir et sa curiosité. Ainsi, ce métier sédentaire devient supportable, quand il s'y joint l'agrément de voir et d'être vue ; mais la plus jolie du comptoir devrait occuper constamment la place favorable. On aperçoit dans ces boutiques des minois charmants à côté de laides figures. L'idée d'un sérail saisit involontairement l'imagination ; les unes seraient au rang des sultanes favorites, et les autres en seraient les gardiennes. Plusieurs vont le matin aux toilettes avec des pompons dans leurs corbeilles. Il faut parer le front des belles, leurs rivales ; il faut qu'elles fassent taire la secrète jalousie de leur sexe, et que, par état, elles embellissent toutes celles qui les traitent avec hauteur. Quelquefois le minois est si joli, que le front altier de la riche dame en est effacé. La petite marchande en robe simple se trouve à une toilette dont elle n'a pas besoin ; ses appas triomphent et effacent tout l'art d'une coquette. Le courtisan de la grande dame devient tout à coup infidèle ; il ne lorgne plus dans le coin du miroir que la bouche fraîche et les joues vermeilles de la petite qui n'a ni suisse ni aïeux. Plus d'une aussi ne fait qu'un saut du magasin au fond d'une berline anglaise. Elle était fille de boutique; elle revient un mois après y faire ses emplettes, la tête haute, l'air triomphant, et le tout pour faire sécher d'envie son ancienne maîtresse et ses chères compagnes. Elle n'est plus assujettie au comptoir; elle jouit de tous les dons du bel âge. Elle ne couche plus au sixième étage dans un lit sans rideaux, réduite à attraper en passant le stérile hommage d'un maigre clerc de procureur. Elle roule avec le plaisir dans un leste équipage ; et d'après cet exemple, toutes les filles, regardant tour à tour leur miroir et leur triste couchette, attendent du destin le moment de jeter l'aiguille et de sortir d'esclavage. En passant devant ces boutiques, un abbé, un militaire, un jeune sénateur y entrent pour considérer les belles. Les emplettes ne sont qu'un prétexte ; on regarde la vendeuse, et non la marchandise. Un jeune sénateur achète une bouffante ; un abbé sémillant demande de la blonde ; il tient l'aune à l'apprentie qui mesure : on lui sourit, et la curiosité rend le passant de tout état acheteur de chiffons. […] Mais j'oubliais que le travail des modes est un art ; art chéri, triomphant, qui dans ce siècle a reçu des honneurs, des distinctions. Cet art entre dans le palais des rois, y reçoit un accueil flatteur. La marchande de modes passe au milieu des gardes, pénètre l'appartement où la haute noblesse n'entre pas encore. Là on décide sur une robe, on prononce sur une coiffure, on examine tout le jeu d'un pli heureux. Les grâces, ajoutant aux dons de la nature, embellissent la majesté. Mais qui mérite d'obtenir la gloire, ou de la main qui dessine ces ajustements, ou de celle qui les exécute ? Problème difficile à résoudre. Peut-on dire ici : Invente, tu vivras ? Qui sait de quelle tête féminine part la féconde idée qui va changer tous les bonnets de l'Europe, et soumettre encore des portions de l'Amérique et de l'Asie à nos collets montés ? La rivalité entre deux marchandes de modes a éclaté dernièrement, comme entre deux grands poètes. Mais l'on a reconnu que le génie ne dépendait pas des longues études faites chez mademoiselle Alexandre, ou chez monsieur Baulard. Une petite marchande de modes de l'humble quai de Gesvres, bravant toutes les poétiques antécédentes, rejetant les documents des vieilles boutiques, s'élance, prend un coup d'œil supérieur, renverse tout l'édifice de la science de ses rivales. Elle fait révolution, son génie brillant domine, et la voilà admise auprès du trône. Aussi, quand le cortège royal s'avance dans la capitale, que le pavé étincelle sous le fer des coursiers que monte une noble élite de guerriers, que tout le monde est aux fenêtres, que tous les regards plongent au fond du char étincelant, la reine, en passant, lève les yeux et honore d'un sourire sa marchande de modes. Sa rivale en sèche de jalousie, murmure de ses succès, cherche à les rabaisser, ainsi que fait un journaliste dans ses feuilles contre un auteur applaudi. Mais la reine est l'arbitre des modes ; son goût fait loi, et sa loi est toujours gracieuse. Les marchandes de modes ont couvert de leurs industrieux chiffons la France entière et les nations voisines. Tout ce qui concerne la parure a été adopté avec une espèce de fureur par toutes les femmes de l'Europe. C'est une contrefaçon universelle ; mais ces robes, ces garnitures, ces rubans, ces gazes, ces bonnets, ces plumes, ces blondes, ces chapeaux font aujourd'hui que quinze cent mille demoiselles nubiles ne se marieront pas. Tout mari a peur de la marchande de modes, et ne l'envisage qu'avec effroi. Le célibataire, dès qu'il voit ces coiffures, ces ajustements, ces panaches dont les femmes sont idolâtres, réfléchit, calcule et reste garçon. Mais les demoiselles vous diront qu'elles aiment autant des poufs et des bonnets historiés que des maris. Soit. »