Quand j’étais gamin, c’était le drame. J’étais le plus mauvais dessinateur que tout prof d’EMT normalement constitué avait rencontré de toute sa carrière, toujours. Représenter une maison, reconnaissable je veux dire, était un exploit digne d’une miss France qui resterait habillée sur des photos toute sa carrière. Les animaux étaient hors d’atteinte, sans parler des personnages humains qui ne l’étaient que pour moi, humains.
Du coup, les jolis dessins de famille unie qui gambade devant la maison entourée de chats et de chiens ne sont jamais passés par mes feuilles blanches. Les fêtes des mères ont vu défiler des pliages ésotériques, des poèmes qui vieillissent mal, des cendriers en terre glaise, des enregistrement de chansons sur cassette mais des dessins, jamais. Pas par moi en tout cas, ma soeur ayant largement occupé le terrain avec un talent si fulgurant qu’il me m’éloignait chaque année davantage de la reconnaissance publique en la matière. Mais j’avais un autre talent.
Ma courte carrière de gaucher contrarié a sans doute joué. Parce que dans les années 70, l’incapacité à utiliser un style de sa main droite était encore considérée comme la graine qui conduisait tout droit à la mythomanie psychopathe à tendance bipolaire violente, teintée d’un risque accru d’homosexualité latente tout prête à se réveiller. Le tout à 4 ans. On comprend tout de suite mieux ce qui a conduit mes parents à m’envoyer pendant un an chez le pedopsychiatre, sur les conseils avisés de la directrice de maternelle dont j’étais pourtant le chouchou officiel.
Pendant un an, une gentille dame m’accueillait, me faisait ranger des cubes, classer des objets selon leur taille, découper des formes géométriques, recopier des lettres auxquelles je ne comprenais rien et évidemment, dessiner, alternativement d’une main puis d’un autre. J’étais un cas complexe puisque tout m’était plus facile de la main droit et que shooter dans un ballon du pied gauche ou du pied droit m’était égal, mais je ne savais pas quoi faire d’un style dans la main gauche.
Je me souviens franchement de peu de choses, juste de la tête de mes parents lorsqu’ils m’ont raccompagné après la dernière séance consécutive à une longue discussion avec la dame. “Je serais gaucher pour l’écriture et le dessin, pas pour le reste”. J’étais donc condamné à écrire comme un porc toute ma vie. J’aurais tiré sur Pompidou que ça aurait à peu près provoqué le même émoi dans la famille.
Ne disposant pas encore de Doctissimo à l’époque pour me rassurer, j’ai décidé que j’écrirais bien. J’ai tout misé dessus. Au fil des années, j’ai passé des heures à recopier tout ce qui me passait sous la main : des bouquins, magazines, fiches de cuisine, soutenu par la coaching bienveillant de ma grand-mère qui était à peu près la seule à avoir perçu mon désarroi. Pendant des années, le plus beau compliment qu’on ai pu me faire était la beauté de mon écriture manuscrite, perdue depuis faute de pratique suffisante (putain de clavier).
J’ai donc juste laissé de côté le dessin, et il me l’a bien rendu. En me ridiculisant notamment au Pictionnary à chaque occasion (rares malgré tout, les occasions hein). J’évite les croquis, c’est gérable. Sans lien apparent, les histoires de main gauche ou droite sont devenues un running gag codé entre amis. Rien de grave.
Le seul problème est que mon infirmité s’est méthodiquement déportée sur l’expression moderne et professionnelle du dessin : le powerpoint. Là par exemple, ça fait 2 heures que j’essaie d’illustrer dans un format entonnoir ce qui constitue les nouveaux segments de l’influence. C’est très clair dans ma tête. Et je pense en toute objectivité que je devrais finir par jeter par la fenêtre la souris et tout le bordel qui va avec avant ce soir.