De Toulet à Beigbeder, via Sartre, vagabondages à Guéthary

Publié le 01 janvier 2010 par Francisrichard @francisrichard

Il n’est pas facile de gagner en voiture le sud de la plage de Cenitz à partir de Saint Jean-de-Luz. Il semble que l’on ne puisse y accéder que par la route nationale. Toutes mes tentatives pour suivre la côte me conduisent soit dans des impasses, soit sur la route nationale, qui seule, en définitive, desservirait les divers accès à la côte luzienne, avant d’arriver à Guéthary.

Quand, accompagné de mon fils aîné, je me rends à Cenitz – Senix en basque – j’ai deux idées en tête. Je voudrais bien retrouver les paysages d’Un roman français (ici) de Frédéric Beigbeder et la tombe de Paul-Jean Toulet au cimetière de Guéthary, que Michel Déon évoque dans ses Lettres de château (ici). J’aime bien ainsi donner un sens littéraire à mes vagabondages.

La plage de Cenitz s’étale sous nos yeux, en contrebas, en direction du nord. Le ciel reste lourd de nuages, mais il ne pleut pas. Le paysage est sauvage. A côté la grande plage de Saint-Jean paraît civilisée, policée, astiquée. La mer y est d’ailleurs plus sage, brisée dans son élan par les trois digues qui enferment sa baie, presque, tandis que celle de Cenitz déroule ses rouleaux dans un jaillissement d’écume au contact de ses rochers.

Ayant franchi un petit pont qui enjambe un modeste cours d’eau, nous gravissons la colline de Cenitz qui se situe côté nord, c’est-à-dire côté Guéthary. Tout en haut la vue est superbe. Nous voyons au sud les dernières maisons de Saint-Jean, éparpillées dans la verdure. Quelques pas de plus et nous surplombons la descente de Guéthary vers la mer dont parle Beigbeder dans son livre :

« De mon entière enfance ne demeure qu’une seule image : la plage de Cénitz à Guéthary ; on devine à l’horizon l’Espagne qui se dessine comme un mirage bleu, nimbé de lumière ; ce doit être en 1972, avant la construction de la station d’épuration qui pue, avant que le restaurant et le parking n’encombrent la descente vers la mer »

Plutôt que de passer par la plage nous avons donc préféré grimper au sommet de la colline qui marque la frontière entre Saint-Jean et Guéthary. Une fois en bas, en nous rendant au balcon de pierre qui domine la mer, nous nous rendons compte que nous avons eu raison de ne pas vouloir escalader les rochers encore tout trempés de pluie, sur lesquels Beigbeder a posé, pour la photo publiée l’été dernier dans Le Figaro Magazine.

Au centre de Guéthary la vie s’est concentrée en ce premier jour de l’an 2010 au Bar basque Guéthary, d’où nous parviennent la rumeur de discussions bien arrosées. De là, après avoir regardé jouer deux gamins au fronton, puis avoir traversé la route nationale, nous gagnons l’église St Nicolas, édifiée au XVIe siècle, avec ses galeries en bois, réservées jadis aux hommes, et sa crèche où les bergers sont coiffés du béret basque et habillés de grosses vestes à long poils de laine blanche.

Nous finissons par trouver la tombe de Paul-Jean Toulet dans le cimetière qui cerne l’église. N’est vraiment lisible que son prénom Jean. Paul et Toulet disparaissent sous un dépôt noirâtre parsemé de moisissures blanches. Nous sommes près de manquer la tombe, qui n’est manifestement pas entretenue, à cause de cela. Je prends quelques clichés, qui sauront me servir d’aide-mémoire dans quelque temps.

Mon fils envoie un texto à un de ses amis :

« Figure-toi que je t’écris depuis le cimetière de Guéthary, où est enterré … Paul-Jean Toulet ! Avoue que c’est drôle, nous qui avons tant ri à l’évocation de ce nom ! »

Tandis que nous redescendons vers le centre de Guéthary et que nous choisissons cette fois d’emprunter la route qui mène directement à la plage de Cenitz, la réponse de l’ami de mon fils lui parvient :

«J’espère que tu n’as pas réédité le geste sartrien sur la tombe de ce pauvre Toulet … »

Nous nous regardons, mon fils et moi. Nous ne voyons pas à quel geste sartrien son ami fait allusion. Du coup mon fils lui répond :

« Sartre ou Vian ? Si c’est Sartre, c’est quelque chose que je ne connais pas. »

La réponse ne se fait pas attendre :

« Sartre sur la tombe de Chateaubriand. »

Mon fils, pour rigoler, ignorant comme moi ce que Sartre a fait sur la tombe de Chateaubriand, répond tout de go :

« En tout cas, je n’ai rien fait de méchant. »

Ce qui lui vaut la réponse ambiguë et cinglante de cet ami :

« Ce sont ses vers qui sont méchants ! »

Entre-temps nous sommes arrivés, chemin faisant, par hasard, au Sentier Damour qui sépare les maisons des grands-parents de Beigbeder. Patrakénéa, ancienne demeure des Chasteigner, a été vendue récemment et les nouveaux propriétaires ont obtenu un permis de construire pour l’agrandir. De Cenitz Aldea, la demeure familiale des Beigbeder, sort un couple, dont la femme pourrait bien être Marie-Sol, la tante de Frédéric.

Nous continuons notre route et atteignons la maison du garde-barrière, dont Beigbeder ne se souvient que trop bien :

« Mon cœur bat […] parce que j’espère croiser les filles du garde-barrière. Isabelle et Michèle Mirailh avaient la peau dorée, les yeux verts, les dents immaculées, des salopettes en jean qui s’arrêtaient au-dessus des genoux. Mon grand-père n’aimait pas qu’on les fréquente mais je n’y peux rien si les plus belles filles du monde sont socialement défavorisées, c’est sûrement Dieu qui cherche à rétablir un semblant de justice sur cette terre. De toute façon elles n’avaient d’yeux que pour Charles, qui ne les voyait pas ».

Puis, continuant à refaire le chemin en sens inverse, nous rentrons à Etche Alegera.

Sur Internet (ici) nous apprenons quel est le geste sartrien, auquel l’ami de mon fils a fait allusion :

« Dans La Force de l'âge, Simone de Beauvoir raconte que Jean-Paul Sartre, visitant avec elle la tombe de Chateaubriand, avait cru bon d'uriner dessus. »

Francis Richard
Nous en sommes au
531e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye