Aujourd’hui, 1er janvier, il fait un temps splendide. Il pleut. Comme souvent ici en hiver.
Roland Barthes, dans un article publié le 10 septembre 1977 dans L’Humanité – nobody is perfect – parle de ses Sud-Ouest. Parmi les trois, du plus vaste au plus réduit,
c’est ce dernier que je préfère. Il est proche du mien à quelques kilomètres de distance. Son Sud-Ouest le plus réduit :
« C’est la ville où j’ai passé mon enfance, puis mes vacances d’adolescent (Bayonne), c’est le village [Urt] où je reviens chaque année, c’est le trajet qui
unit l’une et l’autre »
Remplacez Bayonne par Saint Jean-de-Luz, Urt par Urrugne et vous êtes chez moi, dans mon Sud-Ouest, mon réduit.
Je suis né à Uccle, en Belgique, près de Bruxelles, à la fin de l’hiver. Ma vie est dès le premier jour suspendu à un fil ténu. Mes parents, catholiques, me font ondoyer. Cinq jours plus
tard je suis baptisé, application du principe de précaution à l’incertitude éternelle.
Quinze jours plus tard encore, ma mère, qui a alors trente ans, s’installe, à Saint-Jean-de-Luz, avec le nourrisson que je suis chez Loulouche, petit hôtel qui est situé à un
angle de la rue Gabriel Leduc, artiste peintre, et de la rue Martin de Sopite, capitaine de baleinier.
« J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, dit Barthes parlant de ses Sud-Ouest, c’est-à-dire avec mon corps ; et mon corps, c’est mon enfance,
telle que l’histoire l’a faite. Cette histoire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise »
Pour ma part je peux dire que je suis entré au monde dans cette région avec mon corps, puisque je lui dois d’être toujours en vie, grâce aussi à une solide mauvaise santé.
Quand l’année change de numéro je me dis que c’est une nouvelle année de gagnée et je me réjouis, même si je sens bien que l’âge creuse ses sillons dans mon corps de survivant.
Quand je me prends pour un jeune homme, ce corps sait très bien me rappeler qu’il ne faut pas tomber dans la démesure. J’en ai fait l’expérience encore récemment.
Plus loin Barthes écrit :
« Si je parle de ce Sud-Ouest tel que le souvenir le réfracte en moi, c’est que je crois à la formule de Joubert : «Il ne faut pas s’exprimer comme on
sent, mais comme on se souvient » ».
Hier soir, dernier soir de l’année 2009, j’ai arpenté les rues de Saint-Jean, sous une pluie battante. Boulevard Thiers, le mythique Bar Basque, redimensionné, est toujours là.
Nous y prenions l’apéritif le dimanche après la messe. Rue Gambetta, Adam et ses macarons sont toujours à la même place, de même que, plus loin, vers l’église, le
maroquinier Lafargue. Je n’ai pas retrouvé Rémy où Maman achetait, dans les derniers temps, ses blanquettes de veau et ses brandades de morue…
Dans la vie, à chaque détour d’une année, il y a des permanences et des disparitions.
Barthes termine son article en disant :
« « Lire » un pays, c’est d’abord le percevoir selon le corps et la mémoire, selon la mémoire du corps. Je crois que c’est à ce vestibule du savoir et
de l’analyse qu’est assigné l’écrivain : plus conscient que compétent, conscient des interstices mêmes de la compétence. C’est pourquoi l’enfance est la voie royale par laquelle nous
connaissons le mieux un pays. Au fond, il n’est pays que de l’enfance ».
Je suis presque né au Pays Basque, auquel je reste attaché charnellement par une sorte de cordon ombilical. Ce pays a le don de me faire voir le côté souriant de l’avenir. Dans ces conditions
2010 ne peut m’apparaître que prometteuse, comme je sais que les lourds nuages de ce matin disparaîtront bientôt pour laisser percer l’astre d’où nous tirons toute notre énergie.
Francis Richard
Etche Alegera
Nous en sommes au
531e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye