L’an III de la crise s’achève avec un certain succès : redressement des banques, soutien à la consommation, reprise de la croissance des pays émergents, stabilisation des prix agricoles et de l’énergie. Les bourses continuent de remonter depuis mars, même si le commerce international s’est contracté de 10% sur l’année. Les liquidités continuent d’affluer sur la planète, même si les dettes publiques se creusent, que les Etats-Unis mènent deux guerres à 10 milliards de $ chaque mois, que les actifs chinois, bourse et immobilier, s’envolent. Qu’a-t-on fait pour le système ? Pas grand chose, comme il était prévisible. Les nantis répugnent à changer leurs habitudes tandis que les émergents n’aspirent qu’à poursuivre une affaire qui marche. Ni le G20, ni le traité de Lisbonne, ni Copenhague n’ont vraiment avancé. « La crise » est toujours là en 2010.
Car elle est bien plus profonde qu’un simple krach financier. S’il suffisait de réglementer la titrisation, d’obliger les banques à conserver une part des crédits à risque qu’elles accordent, d’inciter les traders, via leurs bonus, à penser plus long terme, de faire pression sur les trous noirs des paradis fiscaux, la crise serait terminée. Les marchés le croient, il n’en est rien. Qu’est-il donc à l’aube 2010 ?
Si les pays développés ont stabilisé le crédit, ce n’est pas grâce à l’intervention d’Etat comme le croient les jacobins, mais par le changement des règles du jeu. Les médias français, obnubilés par le pouvoir et les paillettes, ont glorifié le G20 pour avoir redonné confiance aux marchés. En réalité, ce qui a le plus compté, est le changement subreptice des règles de comptabilisation des produits dérivés, exigé par ‘Government Sachs’ et demandé dans la foulée pour l’Europe. Ces produits toxiques ne sont plus évalués comme en début d’année « selon le marché » (mark to market) mais selon des modèles internes (mark to model). Autrement dit, ils valent ce qu’on déclare qu’ils valent. Jusqu’à leur échéance, il s’agit purement et simplement d’une croyance.
Peut-être était-ce nécessaire pour briser le cercle vicieux de la confiance dégradée – mais peut-être eût-il mieux valu revenir au système traditionnel : leur valeur initiale conservée jusqu’à échéance ? Ce n’est pas ce qui a été décidé et la masse de dette toxique dans les établissements financiers reste donc ce qu’elle était. Elle va plomber leur bilan réel pour une dizaine d’année au moins, le temps des débouclements et des provisions nécessaires… Le système n’est en rien assaini, on a simplement élevé des décors Potemkine devant, tout en poursuivant les « bonnes habitudes » (140 milliards de $ de bonus sont prévus par les 23 premières banques américaines).
Le système économique n’est pas en meilleur état. Sa plaie est le chômage, très élevé dans le pays moteur de la consommation mondiale, les Etats-Unis. Il est évalué à plus de 10% mais ne comprend que ceux qui se déclarent, n’ont travaillé pas même une heure dans le mois, et ne sont ni malades, ni en stage, ni égarés par la bureaucratie. Le chômage réel est évalué largement au-dessus, vers 18% de la population active. Même chose en Europe, un peu moins au Japon. La cause ? La pression des bas coûts des pays émergents, en premier la Chine, dont le yuan s’arrime au dollar. Nos entreprises font ce qu’elles doivent faire : elles délocalisent, elles font les investissements nouveaux hors de leur pays, elles sous-traitent massivement. Cette désindustrialisation se fait inévitablement au détriment de l’emploi.
Le système social est au bord de l’explosion : moins d’emplois signifie moins de rentrées de cotisations sociales et tout un modèle d’Etat-providence qui se grippe. Trancher politiquement entre ceux qu’il faut aider et ceux qu’il faut responsabiliser est délicat. D’où l’explosion des déficits publics, selon la méthode Coué que, lorsque la croissance reviendra… Mais la dette d’Etat augmente et les marchés ne suivent plus, ils réclament des primes de risque inédites. La Grèce en est le dernier exmple dans la zone euro, mais la France – réputée bon crédit – paye déjà ses emprunts à dix ans 0,40% de plus par an que l’Allemagne. Quant à la Grande-Bretagne, les adjudications du Trésor ont dû être ralenties tant les marchés répugnent à suivre.
Seul moyen pour s’en sortir ? L’inflation, qu’on laisse venir en attendant la croissance par la reprise de l’emploi – au risque d’un dérapage incontrôlé.
Mais aussi le protectionnisme, qui reste la tentation de tous car la croissance est molle. Le Congrès américain n’a jamais été libéral pour le commerce, contrairement aux idées reçues. Les pneus et l’acier chinois sont déjà dans son collimateur. Les avions Airbus ou les trains à grande vitesse aussi, via la chute du dollar contre euro. Le ‘benign neglect’ de la politique de change américaine tient au rôle international du dollar. La Chine, la Russie et les pays du Golfe menacent de chercher une autre solution. Ce n’est pas pour demain, mais signe que le système global actuel voit croître ses déséquilibres.
Normal, nous changeons de cycle d’innovation. Le nouveau cycle Kondratiev, porté par l’information et la communication, les biotechnologies et les nanoparticules, amplifié par la mondialisation complète, prend du temps à se mettre en place. Comme tout changement de système, il exige une nouvelle conception du monde. Il faut pour cela que la génération qui a porté le cycle précédent, celle du baby-boom, cède la place (vers 2015-2020).
La planète se découvre une, malgré les résistances des mentalités de crise. Elle exige de moins peser sur le climat, d’économiser les ressources naturelles limitées, tout en assurant à chacun son développement. La « révolution verte » ne réussira pas sans libre capitalisme, cet outil économique le plus efficace pour produire le plus avec le moins. A condition que ce capitalisme prenne des mœurs plus « durables », moins anglo-saxonnes et plus asiatiques… Cela consiste pour nous à conforter « l’union » européenne contre les égoïsmes nationalistes et le populisme politicien. Seule la coopération à tous niveaux permettra de surmonter les contradictions. Le système entier est en crise, puisque nous changeons de cycle. Pour qu’un système neuf émerge, tout le monde est convié : car on ne remettra pas en cause la mondialisation, clé de la survie climatique et de la paix économique de la planète !
2010 s’ouvre donc comme une année cruciale. Fin de la relance « facile » par les leviers traditionnels (budgets sociaux, liquidités à robinet ouvert, restockage). En revanche, mise en chantier des problèmes structurels de la désindustrialisation, du climat, de la reconversion sociale, du déséquilibre des changes et de l’épargne (moindre aux Etats-Unis, excessive en Chine), réévaluation de l’UE, du FMI, de l’OMC. Tout n’ira pas aussi facilement qu’en 2009 et la bourse pourrait être stoppée net dans son élan quelque part dans l’année.
Bonne année 2010 !