La presse est passée au guichet. Question de survie dit-on. 20 millions d’euros de subsides annuels vont être alloués. Dont un petit million à la presse en ligne « pure player ». La réduction du débat n’a pas attendu très longtemps. L’argent public est-il sale ? Ou quelque chose dans ce genre. Quand il s’agit d’intérêts, foin des convictions que l’on étale à longueur de pages ! On prend l’oseille, on se justifie ensuite. Et les emphases tombent comme à l’accoutumée, sur la nécessité d’une presse de qualité et libre. Mais comme toujours la promesse n’engage que le consommateur d’informations. Car, de ces fonds, la question n’est pas de savoir combien on en obtient, mais ce que l’on en fait.
Les fonds publics ont une saveur différente selon que l’on en bénéficie ou pas. J. M. Colombani qui prononce ses allégeances hebdomadaires sur France Inter et qui loue rationalité et orthodoxie budgétaire ne crache pas sur la gamelle de 199 000 euros. Par contre, l’ineptie dispendieuse des alternatives sociales et fiscales du gouvernement ne le choque pas. E. Le Boucher qui répand longuement, infiniment, sa prose libérale ne rechigne pas à encaisser l’argent sale du contribuable. Petites contorsions silencieuses.
Car finalement ce qui est en jeu, c’est le changement. Et de changements personne n’en veut. Ni parmi les caciques des médias, ni parmi les opulents du pouvoir. Si N. Sarkozy est large avec ses soit disant ennemis de la presse*, ce n’est sûrement pas par souci de démocratie, de pluralité ou autres balivernes que l’on sert aux nigauds en conférence de presse. Ce qui se joue c’est la mise sous tutelle, comme la presse mainstream, de la médiasphère web. Avec ses « frères » Lagardère, Bolloré, Dassault et quelques autres nababs, il tient financièrement une presse à l’agonie. Une presse moribonde, mais si importante pour la transmission du pouvoir. La valeur d’un journal papier (ou demain, web) ne réside pas dans son bilan, son résultat net ou ses actifs, mais dans sa capacité à faire élire un Homme, à promouvoir un projet Politique. Dans cette perspective la presse française a atteint parfaitement ses objectifs**.
La médiasphère web par sa réactivité, son originalité et surtout sa relative indifférence aux cliquetis somptuaires demeure une terra incognita à coloniser. Les premiers à y poser leurs empreintes sont les gros bonnets du vieux journalisme. Ils y amènent avec eux leurs méthodes, leur proximité des cercles de pouvoirs et leurs habitudes. Celles qui leur ont permis de survivre grassement jusque-là.
On a pu juger de l’entêtement du pouvoir à vouloir contrôler l’Internet lors de l’adoption de la loi HADOPI. Il s’en profile une nouvelle, LOPPSI, encore un bâton pour les rétifs du net. Mais les hiérarques ont aussi des carottes, sonnantes et trébuchantes.
Les contenus de Rue89 et de Mediapart sont pour l’heure plus qu’acceptables. Surtout en comparaison des insipides journaux papier***. Le procès d’intention point alors. Pourquoi changeraient-ils ?
E. Plenel déclare : « évidemment mon idéal serait de ne pas toucher un seul centime de l’État. Mais nous ne sommes pas masochistes non plus. Il s’invente une presse nouvelle qui a prouvé qu’elle n’avait pas de fil à la patte. Comme pour la presse traditionnelle, l’État garantit le pluralisme de la presse par le versement de ces subventions. Nous réclamons simplement une égalité de traitement. […]nous ferons preuve d’une totale transparence sur l’utilisation de ces aides dès que le montant des sommes attribuées sera notifié officiellement « . Pour Rue89 le ton est un peu plus jésuitique comme le remarque R. Soubrouillard de Marianne2.fr, P. Riché explique « la position de Rue89 n’a pas changé : nous ne les réclamons pas, mais nous les acceptons ». En France, les dossiers tombent comme par miracle sur les bureaux des bailleurs de fonds. En acceptant la manne, ils ont fait un grand pas vers la normalisation voulue par le pouvoir. Inutilement. Question de crédibilité.
Hier fanatiques des marchés publicitaires, ils se tournent vers les deniers publics si cela sert leurs projets. Car finalement, la sainte liberté d’informer n’a pas de prix, ni celui d’un abonné, ni celui d’un parfum de luxe, ni celui d’un contribuable. L’information n’est pas une marchandise vulgaire, elle a une valeur idéologique, politique. Son financement doit être abordé avec circonspection. Prendre les subsides et continuer comme si de rien n’était, est irresponsable. Sur le net, on singe la même organisation et donc la même mise sous respiration artificielle que les autres médias. Pour un résultat final souhaité, identique.
Comme une rengaine, on doit se souvenir de S. July qui, lors du tournant publicitaire de Libération, pérorait que l’indépendance du quotidien dépendait de sa stabilité financière, et donc du chiffre d’affaires des annonceurs. Libération aujourd’hui n’est plus rien.
Selon RSF, concernant la liberté de la presse, la France culmine au 43e rang mondial, distancé par le Mali, le Costa Rica, Trinidad et Tobago et talonné par le Cap-Vert. Pour avoir une idée précise de ce qui s’y passe, il est préférable de consulter la presse internationale limitrophe. C’est ce modèle de presse croupion que le gouvernement entend pérenniser, sur le web.
Vogelsong – 31 décembre 2009 – Paris
*« Les journalistes, ce sont des nullards, il faut leur cracher à la gueule, il faut leur marcher dessus, les écraser. Ce sont des bandits. Et encore, les bandits eux, ont une morale. » – Le Canard Enchainé – 25 mars 2009 (non démentie)
** 53,06% des voix le 06 mai 2007
*** micro exemple de lobotomie médiatique : Le Parisien en Une le 22 décembre : « Il neige »
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