Avatar, fable écolo-sentencieuse ? Avec le sommet de Copenhague et la concentration de l’opinion sur les thématiques environnementales, on tend à tout voir sous le prisme des inquiétudes pour l’avenir de la planète. Avatar, qui traite effectivement de la protection d’un cadre de vie vierge contre les déprédations industrielles humaines, a été ainsi parfois un peu vite classé dans la catégorie des films à « message vert », comme une sorte de cousin S.F. du Home de Yann Arthus Bertrand. Et si ce sujet de surface cachait un autre « message » moins évident ?
Le pitch du film tient en quelques lignes. Une planète lointaine, Pandora, est convoitée par une mégacorporation terrienne pour un minerai hors de prix qu’elle contient en grandes quantités. Les envahisseurs humains sont prêts à tout pour s’approprier cette ressource précieuse : détruire le luxuriant écosystème local, et exterminer s’il le faut les indigènes, des félins humanoïdes appelés Na’vi. Espérant trouver une solution pacifique, des scientifiques transfèrent leurs esprits dans des corps Na’vi de synthèse – des avatars – pour approcher les autochtones et établir un contact pacifique avec eux. Bien sûr, la guerre l’emporte, et un des pilotes d’avatar, un ancien marine, décide de prendre la défense des Na’vi. Fondamentalement, rien de bien nouveau sous le soleil ; se coulant dans la tradition des films de science-fiction post-Matrix, Avatar est un gigantesque mixeur à influences et clins d’œil culturels. Par-delà les obsessions cameroniennes récurrentes – la « Compagnie » âpre au gain d’Aliens et de Terminator, les Marines et la femme à poigne (Sigourney Weaver) d’Aliens … – l’inspiration du cycle de Dune de Frank Herbert est évidente (la planète lointaine abritant une ressource rare, farouchement défendue par les indigènes, que rejoint le héros contre son camp d’origine), jusque dans le message écologique, qu’Herbert avait justement été un des premiers à introduire dans la science-fiction. La relation entre les Na’vi et leurs montures rappelle irrésistiblement les dragons de Pern d’Anne McCaffrey. Le combat dans la jungle entre créatures de Pandora et bipodes humains a un fort goût de Star Wars. La charge de la cavalerie indigène, menée par l’ex-officier américain, contre les armes à feu ? Le Dernier Samourai. Et c’est à tous les westerns prenant le parti ou le point de vue des Indiens que renvoie l’ensemble du film, Danse avec les loups et Le Nouveau Monde en tête.
Alors, à quoi tient la singularité d’Avatar ? Aux corps animés et habités par des esprits humains, justement, qui donnent son titre au film. Ils introduisent la thématique de l’immersion dans un autre corps, un autre monde, une autre vie, vengeance ou consolation sur les déboires du monde réel. Ils permettent à un marine paraplégique, Jake Sully, de réapprendre à courir, à sauter, et à bénéficier d’un corps aux capacités bien supérieures à celles de son corps d’origine. Une fois passé dans le corps d’avatar, tout devient possible : voler, sauter d’arbres en arbres, et partir à la découverte d’un monde luxuriant et psychédélique, montagnes volantes, plantes douées de conscience et animaux préhistoriques à la clé … Cameron ne se prive d’ailleurs pas de longues séquences d’apprentissage par le héros de sa nouvelle vie – autant de prétextes à promener la caméra dans des paysages improbables et que l’on aurait crus, il y a quelques années encore, réservés aux romans et bande-dessinées. Mais l’immersion et le vieux rêve de passer de l’autre côté du miroir ne sont pas réservés au héros du film. Ils sont également offerts au spectateur via l’usage de la 3D, et il est clair que plusieurs scènes (dont celles d’exploration de Pandora) ont été pensées et introduites par Cameron pour permettre au public de devenir lui aussi un avatar, de passer pendant quelques minutes derrière, ou plutôt dans, l’écran …
L’évasion dans une autre vie peut être vue comme une belle métaphore du cinéma, mais c’est aussi, et peut-être surtout, le point central de la culture geek. L’avatar, c’est le personnage qu’incarnent durant leurs parties les joueurs de jeux de rôles et de jeux vidéos, c’est le double en ligne que l’on incarne sur Internet (blogs, réseaux sociaux), affranchi des contraintes matérielles habituelles, et libre de prendre toutes les libertés avec son « double » réel. Celui qui offre une revanche sur les déboires de la vie de tous les jours, tel Peter Parker, adolescent timide et complexé, qui devient Spiderman pour sauver le monde. Signe qui ne trompe pas, Cameron conclut son film par ce qui est sans doute le fantasme geek ultime : devenir le héros que l’on joue, rejoindre les personnages de ses comics préférés.
Matrix ouvrait les années 2000 en invitant ses spectateurs à retrouver la réalité derrière l’illusion ; Avatar les conclut en ravivant la nostalgie de l’adolescence et en rendant hommage aux mondes imaginaires, et à celles et ceux qui les parcourent. Un message somme toute assez éloigné de l’hymne à l’urgence écologique que l’on voudrait y voir à tout prix, ou de façon exclusive.
Romain Pigenel