David Fauquemberg né en 1973 fait des études de philosophie avant de se lancer dans une série de voyages à travers le monde, de Cuba à la Patagonie en passant par l'Australie qui lui inspirera ce roman paru en 2007. Quand il n'écrit pas des romans, David Fauquemberg est aussi grand reporter pour le magazine Géo.
Le titre du livre Nullarbor est le nom d'une région du sud de l'Australie, où le héros va vivre une aventure intense. Végétant depuis deux ans à Melbourne il décide de partir en stop vers l'ouest puis de remonter vers le nord, chez les aborigènes « et advienne que pourra ». Le roman est découpé en cinq chapitres et chacun lui permet de rencontrer des personnages très forts. Des Hell's Angels dans des bars minables, des pêcheurs fous de haine contre les requins et les tirent à la carabine au cours d'une partie de pêche qui n'aura rien de folklorique mais où à chaque instant on risque la mort ou la blessure grave. Enfin il échouera chez les aborigènes et le voyage devient initiatique quand il sera pris sous l'aile protectrice d'Augustus qui lui enseignera quelques préceptes permettant de survivre sur ce continent étrange, où vos ancêtres peuvent se réincarner sous la forme de corbeaux et vous protéger discrètement.
Un roman assez mince finalement (232 pages en poche) vu la distance parcourue lors de ce périple et les évènements traversés, mais plein de bruit et de fureur, écrit en phrases courtes qui cognent. Un bouquin que j'ai dévoré en quelques heures, avide d'avaler ces centaines de kilomètres de poussière, de franchir ces gués de fortune à bord d'un 4x4 bringuebalant, ou d'errer dans la mangrove terrorisé à l'idée d'être happé par un crocodile ou mordu par un serpent venimeux, sans parler de ces « araignées, ventrues, hideuses, longues comme la main, attendant leur heure, tapies sous le feuillage ». Le finale est superbe, rejoignant la mystique aborigène et ses croyances qu'on dit d'un autre âge, mais qui sait ?
Si le style n'est pas le même, l'approche des peuples aborigènes d'Australie m'a rappelé les meilleures pages de Bruce Chatwin et son Chant des pistes. Excellent livre que je ne peux que vous conseiller.
« Bruce a poussé un juron. Il m'a tendu une ligne en maugréant : « Requin ». Coupant le moteur, il s'est engouffré dans la cabine. J'ai dû me battre pour ne pas laisser filer. Le fil, agité de soubresauts incontrôlables, me déchirait les mains. Je sentais le nylon pénétrer la chair de mes paumes. Derrière moi, Billy faisait disparaître les nœuds, ils auraient pu m'arracher un doigt si le poisson décollait. Cette fois, le suspense a duré moins longtemps. L'animal est monté tout de suite au combat. Un requin-marteau de grande taille, qui décrivait des cercles de plus en plus réduits à la verticale du bateau. Un guerrier. Il n'avait pas peur, dans son élément il ne craignait personne. Heureusement pour moi, ça devait faire des heures qu'il avait mordu à l'appât. Pourtant, il m'arrachait les bras à chaque battement de queue. Il évoluait en surface à présent, à un mètre cinquante de mes mains. Ses yeux inexpressifs semblaient fixés sur moi, son échine tressaillait comme celle d'un taureau dans l'ultime tercio. Pourquoi me laissait-on ainsi jouer avec la bête ? Quelqu'un allait-il couper cette maudite ligne ? Bruce a jailli de la cabine en braillant : « Putain, sors-lui la tête ! » En me retournant, j'ai failli tout lâcher. Bruce pointait sur moi un fusil de chasse Winchester à canons sciés. Les orifices de sinistre présage passaient et repassaient devant mon ventre au gré des mouvements de la houle. De toutes mes forces, j'ai soulevé la gueule du requin. Bruce a tiré à bout portant. Déflagration ahurissante. Le requin est retombé sur le dos, secoué d'effroyables spasmes. Pris de fureur, Bruce lui a balancé une seconde décharge. « Enculé d'requin ! » Il n'avait plus la force de résister, mais il n'était pas mort. Un œil pendait sur le côté, arraché à l'orbite. Du revers de la main, j'ai essuyé les lambeaux de cervelle, les éclats de cartilage qui me criblaient le visage. Curt et Billy ont crocheté les ouïes du requin, qui vomissaient des torrents de sang. J'aurais dû les aider, mais le vacarme des détonations, l'odeur de la poudre m'avaient tétanisé. Rien ne m'avait préparé à cela. »
David Fauquemberg Nullarbor chez Folio