Magazine Beaux Arts

Urs Fischer New Museum

Publié le 30 décembre 2009 par Gregory71

Urs Fischer

Nous sommes dans des objets au carré

Premier étage, l’espace si particulier du NM est saturé de cubes de grand format sur lesquels sont collés des photographies d’objets quelconques : sandwich, livre, steack, figurine, ordinateur, etc. Chacune des faces des cubes représente une des faces de l’objet choisi autour desquels il est possible de circuler. La taille est anthropomorphe mais dépasse la grandeur de l’objet réel, entraînant une défonctionnalisation de celui-ci. La logique consiste ici à confronter deux histoires : celle de l’art des années 70 aux USA utilisant le miroir de la réflexion et celle de la photographie publicitaire, du popart pour le dire vite. Une confrontation qui réconcilie ces deux histoires fondamentales de l’art américain selon une seconde logique qui n’est plus historique mais formelle : la proportion des cubes dépend de l’espace le plus grand de l’objet. Ceci a pour résultat de créer des espaces vides, des trous qui laissent voir le miroir. C’est donc dans les vides de l’objet, dans le décalage entre le cube comme norme et l’objet comme norme qu’il est possible de se voir. La question pourrait être : comment des objets entrent dans des cubes pour créer notre image, pour que nous puissions nous voir. Les cubes ne sont donc pas en ce sens une métaphore d’une méta-norme (la norme c’est l’objet reproduit), mais simplement un cadre régulier qui définit tout aussi bien un contenu (la photographie) qu’un en dehors qui est inclus (l’image réfléchie du regardeur).
Deux objets semblent au premier abord hétérogène a cet ensemble systématique. Une petite sculpture avec une chaine qui laisse pendre une pierre et un petit oiseau pendu et accroché à cette pierre. Cette chaine nous la retrouvons dans les cubes-objets, sans doute l’objet le plus fondu dans le décor de part sa position au plafond laissant réfléchir les lumières. Des béquilles peintes en rose sont posées dans un coin, elles sont déformées et disent, d’une autre facon, ce que nous disaient déjà les objets-cubes : la relation entre des objets et des corps, nos corps. Les béquilles qui devraient servir à nous soutenir et à faire en sorte que le corps tienne droit, semblent plutôt, selon un rapport d’inversion, s’adapter à l’effondrement du corps qu’elles sont censées soutenir. L’objet ne soutient plus le corps, il s’y adapte selon une ergonomie qui déforme jusqu’à l’instrumentalité de l’objet. Le possible n’est plus ce que peut un corps mais la forme d’un objet et sa relation à un en dehors (le cube en miroir ou un corps qui a besoin d’aide).

Des objets volants

Le second étage produit un contraste, il est vide. Trois objets s’y disposent comme isolés, abandonés. Les murs sont d’une couleur pâle, mauve éteint, lui aussi laissé à l’abandon. Un croissant est suspendu à un fil transparent et tourne sur lui-même. À l’une de ses extrêmités un papillon s’est posé, en léger équilibre. Ces deux éléments entrent en résonance non selon une fonction mais selon une topologie et celle-ci est métastable, elle est suspendue. Qu’est-ce que l’équilibre? Qu’est-ce que la rencontre non-surréalisme entre un papillon et un croissant?
Le second objet est caché dans le mur, un simple trou, orifice maintes fois utilisée dans le voyeurisme post-duchampien. On s’avance en entreapercevant une forme qui, à une certaine distance, jaillit, sort : une langue qui se tire hors du mur puis qui revient en lui. Ce n’était que cela, un pied de nez référenciel. On nous dit d’approcher et on nous tire la langue, fin du discours, fin des tragédies par l’ironie qui ne dit rien d’autre qu’elle-même. Nous voici devant le fait accompli.
Le dernier objet, lui aussi référencé à l’histoire américaine par le biais de John Cage et de tant d’autres, est un piano peint de la même couleur que les murs, mais le mauve est relevé, éclatant. Ce piano est déformé, il pend, se défait, s’élève comme si était une coquille vide, cette même coquille que Pompéi avait permit de mouler en négatif. Ce piano est donc une empreinte et sans support elle se déforme diffusant sa couleur sur les murs, de proche en proche. Le rose-mauve de la langue, cette couleur désagréable fait trou, tandis que le piano se répand de facon chromatique.
Ce sont trois objets suspendus, ironiques et référencés. Ils ne servent à rien : équilibre, trou et empreinte, et pourtant ils ne sont pas strictement auto-référentiels, ils disent quelque chose des objets qui nous entourent et qui forment notre identité, dans leurs creux, dans leurs circonvolutions.

Pour finir, une échelle

Un escalier, il y a un petit arrêt, presque rien : autre référence à l’art américain (on l’aurait voulu moins direct peut-être), ce sont des supports à néon qui tiennent de simples légumes se dégradant pendant l’exposition.

La pièce finale est constituée de grandes sculptures saturant à nouveau l’espace étroit du NM. Ce sont des formes hasardeuses et aggrandies, tels des morceaux de métaux fondus au hasard et donc l’échelle aurait éclatée. Appartenant à une autre planète, l’étrangeté est ici entière. Le caractère artefactuel ne se cache pas, on voit fort bien les coupures ayant permis de transporter de tels formats. Il y a là aussi un lampadaire tordu produit par le même procédé que le piano. Enveloppe vide, vidée de sa substance, changeant de couleur, s’écroulant sur lui-même, rappelant simplement une fonction à présent perdue.


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