La transparence que nous impose la technologie traque l’espace privé et offusque les victimes qui la subissent contre leur gré.
L’actualité récente est désormais nourrie, presque quotidiennement, d’exemples qui alimentent le voyeurisme des uns et font crier les autres au scandale d’une atteinte inadmissible à la vie privée. (Ils sont légions ceux qui s’estiment avoir été piégés dans une conversation « privée » : Rachida Dati, Brice Hortefeux, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, Patrick Devedjian …).
Ne sommes nous pas entrés, en fait, dans une ère où la transparence n’est plus un devoir mais une injonction systémique ?
La communication est au cœur de nos sociétés modernes. Elle submerge la planète entière à travers sa production technologique et médiatique. Mais, paradoxalement, plus les modes et les supports d’expression à la disposition des hommes se multiplient, moins les émetteurs sont capables de faire autorité. Qui croire, à l’heure où tous les points de vue s’expriment à partir de légitimités à géométrie variable, où les vérités successives de chacun sont revendiquées comme l’expression ultime de la liberté individuelle ?
Face à la profusion des émetteurs et des messages, la crédibilité d’une autorité publique ne doit-elle pas passer, avant tout, par la condition préalable d’une cohérence de toutes ses expressions ? L’espace public ne se limite plus à l’espace « choisi » par l’émetteur pour s’adresser au public. Tout personnage public doit accepter et assumer que, lorsqu’il s’exprime « en privé », il le fait dans un espace public qui s’est élargi en raison de l’existence de prothèses technologiques à la portée de chaque individu. Chacun d’entre nous devient ainsi, potentiellement, un amplificateur médiatique selon l’usage qu’il décide d’en faire.
Cette injonction salutaire de cohérence des personnages publics doit cependant être nuancée par l’analyse du traitement qui est fait des propos ainsi capturés. Il y a abus de confiance à « décontextualiser » les propos tenus. L’image et les paroles retirées de leurs contextes sont manipulatoires de leurs significations. Dès lors, elles ne cherchent plus à faire comprendre, elles cherchent à faire juger. Elles procèdent par « abus de conscience » en jouant essentiellement sur la mise en avant des propos qui touchent le cerveau limbique, celui de nos émotions, celui qui nous fait « ressentir » une information. Les neurosciences nous ont appris que cette action ferme une partie du néo-cortex, cerveau qui nous permet de comprendre une information et de pouvoir être donc à même de la critiquer.
Aussi pensons nous que deux combats doivent être engagés de façon complémentaire aujourd’hui :
- Le premier est celui de l’engagement de tout acteur qui s’exprime dans un espace public à une exigence de sincérité dans ses convictions et de cohérence dans ses expressions qu’elles soient publiques ou privées.
- Le second est celui de l’impérative nécessité de décryptage de toute information en s’efforçant de l’analyser, à partir d’une remise dans son contexte d’émission, avant de la véhiculer et plus encore de la juger. Il est vrai que s’informer fatigue comme l’a justement écrit Ignacio Ramonet. Mais il en va d’une juste appréciation des faits. Ils sont un fondement déterminant de notre représentation du monde. C’est la responsabilité de chacun.
Les situations de crise sont désormais l’affaire de tous.
- Nous devons apprendre à devenir des citoyens éclairés en faisant l’effort de décrypter et de contextualiser les images.
- Nous devons refuser de nous laisser enfermer dans l’asservissement d’une consommation d’informations émotionnantes qui obère toute capacité de compréhension réelle et prédétermine nos jugements à travers une réalité mise en scène.