Lu sur Rue89
L'histoire est passée presque inaperçue, vacances de Noël obligent. Le 17 décembre, la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) a pourtant publié un avis qui fait triplement mentir les partisans inconditionnels du Taser X26.
L'arme, présentée comme « pistolet antibavures par excellence », a été utilisée dans la nuit du 11 au 12 février 2008 au centre de rétention de Vincennes.
Un sans-papiers retenu dans le CRA en attente d'une expulsion a été électrocuté à coups de Taser X26 par un policier de la BAC appelée en renfort à un moment de tension.
Un an et demi après les faits, la CNDS, saisie par deux sénateurs (Nicole Borvo Cohen-Seat, PCF et Louis Mermaz, PS) publie les résultats de son enquête. La Commission a notamment entendu le retenu, présenté sous ses initiales « O.T. », qui a perdu connaissance après le tir de pistolet à impulsion électrique, et deux commissaires de police présents sur place. L'un d'entre eux est celui qui a dégainé son Taser X26. « L'intéressé n'a pas porté de coup. Cependant, il bombait le torse »
Ce dernier ne justifie guère l'usage de cette arme de catégorie 4 par des questions de légitime défense. Voici son explication rapportée par la CNDS :
« Il est exact que l'intéressé n'a pas porté des coups à des fonctionnaires de police de la BAC nuit, ni même tenté d'en porter. Cependant, il bombait le torse. »
De longue date, les défenseurs du Taser X26 avancent trois garde-fous qui empêcheraient théoriquement toute bavure avec cette arme :
* la présence d'une caméra intégrée au pistolet * la possibilité d'user seulement de la « visée laser » à titre préventif sans tirer * le suivi médical qui irait de pair avec chaque tirProblème : dans cette affaire, aucun de ces trois arguments ne se révèle réellement opérationnel. Décryptage, enquête de la CNDS à l'appui.
1 - La caméra ne sert à rien
L'avis de la CNDS est sans appel quant à l'inefficacité de la caméra intégrée :
« La commission tient à souligner la médiocre qualité des images enregistrées par ce dispositif, qui ne permet de percevoir ni les mouvements ni les attitudes des protagonistes, les images plus ou moins nettes étant entrecoupées de flash blancs et d'images noires sur de longues durées ».
La CNDS se révèle encore plus sceptique par la suite quant aux garanties que représenteraient l'existence de cette caméra :
« Il est permis de s'interroger très sérieusement sur l'utilité du dispositif d'enregistrement vidéo qui ne permettrait en aucun cas de vérifier à postériori les circonstances dans les lesquelles le pistolet à impulsion électrique a été utilisé. »
Autant pour le garde-fou vidéo, donc. Et ce quoiqu'en disaient Taser France et Taser US sur leurs stands respectifs au dernier salon Milipol, rendez-vous annuel à Paris pour les professionnels de la sécurité et de l'armement. Pour mémoire, voici la démonstration que faisaient du tout dernier Taser Antoine Di Zazzo, distributeur français de l'armurier. (Voir la vidéo)
2 - Le double cran préventif du laser n'a rien changé
L'auteur du tir ne conteste pas son geste. Il a bien envoyé une décharge. Techniquement, il pouvait pourtant s'en tenir à un simple acte préventif : le policier ayant au bout du bras cette arme électrique peut très bien se contenter d'une faible pression sur la gâchette, sans pour autant activer les décharges électriques.
On appelle cela une « visée laser » : un point lumineux rouge apparait sur la cible. C'est un argument souvent utilisé par les défenseurs du Taser qui y voient la preuve d'un usage préventif efficace.
Alors que la CNDS lui demande pourquoi il ne l'a pas tenté d'interpellé le retenu « de manière classique », le commissaire répond :
« En raison du caractère agressif de l'intéresé, j'ai craint qu'il y ait des échanges de coups avec mes hommes et que ces derniers soient blessés. »
Au terme de son enquête, la CNDS concluera à « usage disproportionné » du Taser X26 dans la nuit du 11 au 12 février 2008 au CRA de Vincennes.
3 - Pas de suivi médical après le tir
Théoriquement, chaque policier habilité Taser a reçu une formation de secourisme poussée afin de parer à tout souci médical après une décharge électrique. Les documents officiels du ministère de l'Intérieur le stipulent.
D'après les témoignages récoltés par la CNDS pour les besoins de l'enquête, on était très loin du secourisme, après le tir à Vincennes cette nuit de février 2008. Le premier retenu sur lequel le commissaire a tiré a en effet écopé de blessures physiques et fait un malaise après avoir reçu la décharge électrique.
Dans le dossier compilé par la Commission, il rapporte ainsi la scène qu'il a vécue avec son voisin de chambre :
« Des policiers se sont rapprochés de moi et ils ont fait usage de leurs Tasers en appliquant cette arme sur mon épaule. J'ai perdu connaissance (…)Lorsque je me suis réveillé à l'hôpital, j'ai constaté j'ai constaté que j'avais des blessures sérieuses au bras gauche. Mes camarades au centre m'ont expliqué qu'après avoir perdu connaissance, j'ai été menotté et entravé aux jambes et que c'est à ce moment que les policiers m'ont frappé et blessé au bras et trainé au sol. »
« Des violences illégitimes de la part d'un ou plusieurs policiers »
Parole contre parole ? La CNDS précise juste après avoir « reçu plusieurs témoignages écrits de personnes retenues confirmant ces propos ». Et cite surtout l'autre commissaire présent sur place, qui raconte avoir constaté la présence des deux rétenus, « visiblement blessés, l'un allongé devant la porte d'une chambre et saignant abondamment du cuir chevelu, menotté aux bras et aux jambes, l'autre blessé était à l'intérieur de la chambre ».
L'enquête de la CNDS mettra en évidence que le médecin qui a examiné le retenu à l'hopital a constaté « une plaie du cuir chevelu de 2 cm ». L'ensemble de ses blessures lui a valu une incapacité totale de travail de six jours. Verdict de la CNDS :
« Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Commission tient pour établi que [les deux retenus] ont fait l'objet de violences illégitimes de la part d'un ou de plusieurs fonctionnaires de police présents dans la chambre où ils s'étaient réfugiés. »
On aurait aimé clore ce papier sur des précisions concernant la fréquence de l'usage de Taser en rétention. Difficile : le service communication de la police nationale apporte peu de précisions, si ce n'est que les policiers de la PAF affectés en centre de rétention ou en zone d'attente ne sont nullement « habilités Taser ».
Ultime précision : entre début 2007 et juillet 2009, les services de l'ordre se sont servi 1 601 fois du pistolet à impulsion électrique. On ignore en revanche combien de fois ces tirs ont pu avoir lieu en rétention, après appel à la rescousse de policiers habilités.
Impossible d'en savoir plus également sur d'éventuelles sanctions disiplinaires contre l'auteur du tir dans la nuit du 11 au 12 février 2008 : Préfecture de police et Police nationale se renvoient la balle.