Note de lecture Mohamadou Saidou TOURE (Thierno), rédigée en juin 2001.

Publié le 30 décembre 2009 par Bababe

Un roman sur l'esclavage 

"Doublement étranger à Nouakchott par son origine sociale servile et par son ignorance totale des « rouages essentiels » de la vie urbaine, qui lui est hostile, Hartani jette son dévolu sur le mutisme, en se faisant passer pour un muet : expression mélancolique de désarroi d’un homme solitaire qui préfère à la vaine et bruyante cacophonie du dialogue de sourds le riche dialogue avec soi-même, dans le recueillement méditatif du monologue intérieur."   M.S.Touré
 

Auteur : Abdoul Ali WAR
Titre du roman : Le cri du muet
Editions Moreux, Paris, 2000, 223 pages.


 Le Cri du muet d’Abdoulaye Ali WAR est un exemple assez rare où une œuvre de fiction qui dépeint la réalité sociopolitique d’un pays en constitue une rigoureuse illustration spéculaire. Venus au chevet de leur mère agonisante, en cette circonstance exceptionnelle censée mettre en sourdine même les hostilités les plus véhémentes, trois frères – Issagha, Sidina et Hartani – n’en offrent pas moins le spectacle d’une famille déchirée. La description réaliste de War a fait de chacun des trois frères un « type » ethnique ou social, et c’est autour de la sourde rivalité qui oppose cette fratrie qu’est bâtie la trame narrative du roman.
Issagha, politicien véreux que seule préoccupe son ascension politique, ne semble pas ému outre mesure par l’état préoccupant de sa mère. Sidina, nationaliste maure, qui prétend défendre sa patrie en danger, voue une « sainte aversion » à ses frères Issagha, d’origine « négro-mauritanienne», et Hartani, « esclave noir affranchi, d’ethnie maure ». Hartani, de son vrai nom « Kaaw », « Tonton » en langue pulaar, a été razzié dès sa tendre enfance, déporté loin de sa région natale au « grand fleuve argenté » (le Fleuve Sénégal ») et emmené en pays maure, où il a grandi sous le joug de l’esclavage, aliéné à une nouvelle culture qui le coupe brutalement de ses racines : jusqu’au jour où, échappant à ses maîtres, il gagne Nouakchott, la capitale de son pays, et se fait reconnaître par sa mère ; mais, celle-ci tentera vainement de réduire le fossé qui le sépare de ses deux frères, « négro-mauritanien » et « maure blanc », qui ne le considèrent pas comme un des leurs.
Doublement étranger à Nouakchott par son origine sociale servile et par son ignorance totale des « rouages essentiels » de la vie urbaine, qui lui est hostile, Hartani jette son dévolu sur le mutisme, en se faisant passer pour un muet : expression mélancolique de désarroi d’un homme solitaire qui préfère à la vaine et bruyante cacophonie du dialogue de sourds le riche dialogue avec soi-même, dans le recueillement méditatif du monologue intérieur.
Hartani finit par rompre tous ses liens avec sa « famille retrouvée », préférant vivre avec ses « frères esclaves », de même condition : Matalla le « taciturne », M’barka (qui lui donnera un enfant) et d’autres hères déshérités, exclus et acculées jusque dans leurs derniers retranchements.
Ce roman au style sobre, dépouillé et sans fioriture est une allégorie d’une Mauritanie minée par ses dissensions intestines, dont la cohésion sociale et nationale est à rude épreuve.
Mohamadou Saidou TOURE (Thierno) :
Paris, 18 Juin 2001.
Ps : je n’ai pas en tête le numéro du BCLF (Bulletin Critique du Livre Français), où a été publiée ma note de lecture du livre d’Abdoulaye War, l’ayant donné à l’auteur, lorsque j’ai fait sa connaissance, en 2001 ou 2002.