« Il ne serait pas acceptable que les efforts des pays les plus ambitieux soient compromis par les fuites de carbone qui résulteraient de l’absence ou de l’insuffisance d’action de certains. Pour cette raison, il doit être possible de mettre en place des mesures d’ajustement appropriées visant les pays qui ne respecteraient pas cet accord ou n’en seraient pas partie. »Lettre conjointe d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy au Secrétaire Général de l’ONU. C’est en ces termes que l’Allemagne d’Angela Merkel s’est ralliée à la position française au futur sommet de Copenhague visant à mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union Européenne. Il semble que l’Allemagne ait enfin pris conscience que les enjeux du sommet du 7 Décembre sur le changement climatique ne sont pas dénué de jeux de puissance. Alors que la proposition française d’une taxe carbone aux frontières fut qualifiée par le Secrétaire d’Etat à l’Environnement allemand Matthias Machnig «d’éco-impérialisme» il est ainsi surprenant de voir un tel revirement du gouvernement allemand sur cette question, sauf si l’on considère que le jeu en vaut la chandelle pour l’industrie allemande…
La taxe carbone aux frontières
La France cherche à mettre en place un mécanisme qui permettrait de punir les Etats n’ayant pas fait preuve d’un effort suffisant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce mécanisme prendrait donc la forme d’une taxe sur les importations des pays n’ayant pas pris d’engagements chiffrés sur la réduction des gaz à effet de serre au Sommet de Copenhague. Le but avoué de Paris est de forcer la main des pays émergents, peu enclins à prendre des engagements susceptibles de freiner leur croissance économique, mais également de limiter le « dumping environnemental », c'est-à-dire la fuite des industries occidentales vers des pays moins regardant en matière de normes environnementales. Cette taxe semble une avancée considérable dans la prise de conscience par le gouvernement français de l’urgence environnementale et de ses implications pratiques. Mais sous ses aspects de mesure éco et socio-responsable, elle n’en demeure pas moins un formidable outil de puissance potentiel.
La taxe carbone aux frontières telle qu’elle a été élaboré présente un défaut majeur susceptible de se changer en un instrument efficace de la préservation de la puissance économique des pays occidentaux : Etant donnée la complexité avec laquelle il est difficile de mesurer la quantité de CO2 relâchée par la production d’un seul produit manufacturé, la quantité gigantesque de produits à évaluer, sans parler des différences dans les processus de production et de sources d’énergies utilisées, la taxe carbone aux frontières ne peut que retenir une moyenne globale en fonction du secteur industriel visé, déstabilisant du coup tout ce secteur, quelque soit la différence de « propreté » entre les différents produits. En somme, en raisonnant à l’échelle du secteur plutôt qu’à l’échelle du produit, la taxe carbone aux frontières peut se révéler un outil puissant pour freiner les exportations des pays émergents dans des secteurs où ils sont fortement concurrentiels.
Deuxièmement, la détermination des secteurs industriels visés par la taxe ne peut qu’être partiale. On voit mal la France et l’Allemagne imposer une taxe à l’importation de matières premières voire même de produits semi-finis, étant donné que ces derniers sont essentiels à l’ensemble du tissu industriel national. Dans ce contexte, ne peuvent être taxés que les produits manufacturés.
On comprend dès lors que la taxe carbone aux frontières est avant tout un instrument de préservation de la puissance industrielle de l’Europe face à la formidable expansion de l’outil industriel des pays émergents, en lui procurant un moyen de préserver son marché intérieur d’une concurrence qui a déjà l’avantage comparatif capital d’avoir une faible coût de main d’œuvre. L’équation se résume donc à opposer à la force de travail des pays émergents une « force verte » européenne leur permettant de préserver leur puissance industrielle.
L’environnement comme atout dans la préservation de la puissance économique.
De plus, l’OMC n’a pas jugé utile de condamner l’initiative franco-allemande alors qu’elle introduit une discrimination potentielle dans les échanges commerciaux internationaux. Alors que l’Inde et la Chine ont directement protesté au sein de l’Organisation, le directeur de l’OMC Pascal Lamy s’est contenté d’affirmer que « de son point de vue, le feu n’est ni rouge ni vert ». Pourtant, la taxe carbone aux frontières serait en mesure d’enfreindre la clause de la nation la plus favorisé, étant donné qu’elle introduirait une discrimination entre pays pollueurs et pays non pollueurs. Il semble que l’argument environnemental gêne les instances dirigeantes de l’OMC, l’Accord de Marrakech stipulant bien que la préservation et la protection de l’environnement font partie des objectifs fondamentaux de l’OMC. Dans ces conditions, il semble possible d’inscrire cette taxe au sein des Exceptions Générales du GATT. L’Europe semble donc avoir trouvé un biais dans le droit commercial international lui permettant de transformer ses politiques environnementales en outil de puissance.
La proposition franco-allemande a été accueillie plutôt défavorablement par les autres Etats-membres de l’Union Européenne, notamment par les pays scandinaves pourtant moteurs dans l’harmonisation des normes environnementales en Europe, qui l’ont considérée comme « prématurée ». Il semble que la priorité soit avant tout donnée à la négociation en vue d’aboutir à un accord international à Copenhague. Toutefois, en cas d’échec, il y a fort à parier que d’autres Etats-membres se rallieront à la proposition. De leur côté, les Etats-Unis, bien qu’ils soient le deuxième plus gros pollueur de la planète, étudient la mise en place d’une taxe carbone aux frontières en marge du Carbon Security Act actuellement en discussion au Sénat. Stephen Chu, le Secrétaire américain à l’Energie a ainsi affirmé que la mise en place d’un système de bourse carbone aux Etats-Unis sera conditionnée à la création d’un mécanisme de compensation à l’échelon international. Il semble que les Etats-Unis, actuellement empêtrés dans une « guerre du pneu » avec la Chine, aient compris que les mesures compensatoires qui leurs permettent de mettre en place des barrières douanières afin de protéger leurs industries ne leur suffiront pas à endiguer la pénétration des produits chinois sur leur sol. Pour préserver leur suprématie sur le commerce mondial, « l’arme verte » pourrait leur être utile.
La « guerre du carbone » est-elle possible ?
Il semble en tout cas que les pays Occidentaux aient compris que l’instrumentalisation de l’environnement peut-être un moyen efficace pour conserver leur leadership dans les échanges mondiaux. Les pays émergents quant à eux, et en premier lieu la Chine, fourbissent déjà leurs armes : La Chine a déjà prévenu que toute mesure environnementale visant à entraver ses exportations serait considéré comme du protectionnisme et qu’elle prendrait des mesures. La première réticence des Allemands était par ailleurs motivée par la crainte de mesures de rétorsions à l’encontre de son industrie et de ses exportations. Quoiqu’il en soit, l’ensemble de ces problématiques de puissance est liée au sort du Sommet de Copenhague, mais personne ne peut nier qu’au-delà de la philanthropie et de la préservation de notre écosystème se cache des enjeux de pouvoir. Rendez vous donc le 7 décembre prochain.
Raphaël Poterre
Notes :
Aaron Cosbey, Border Carbon Adjustment, background paper of the Trade and Climate Change Seminar, 18-20 June 2008, International Institute of Sustainable Development