Magazine

Alfred, une vie

Publié le 30 décembre 2009 par Didier54 @Partages
Alfred, une vieDepuis quelques jours, je pense à Alfred.
Je ne le connais pas, Alfred. Je ne sais pas si il a existé. Il est né en 1907. De sept à onze ans, il a connu la guerre. Il est français, Alfred. Puis c'est allé mieux, puis ça a claqué.
A 32 ans, il est parti à la guerre. Il a été fait prisonnier. Il n'a pas bien connu ses enfants qui grandissaient là-bas, de l'autre côté de la ligne de démarcation. A 40 ans, il est revenu. Alfred n'était plus le même. Mais il ne savait pas ce qu'il aurait pu être.
Il a connu l'arrivée de l'eau courante, de l'électricité, de la télévision, du téléphone, de la voiture. Il a vu le béton tout envahir et les supermarchés s'installer. Il a été séduit par tout cela, en même temps que dépassé. Tout allait si vite. Tout semblait si mieux.
Il faisait confiance, Alfred. Il a fait partie du syndicat, il a adhéré au parti, et puis la retraite, il a arrêté le syndicat, arrêté le parti. En 1987, il arrêté de boire, il était malade. Il a arrêté de fumer, aussi. A pied, il allait jouer à la pétanque, avec quelques copains. La santé s'amenuisant, il a arrêté la pétanque aussi. Il jouait aux cartes. Il lisait le journal, chaque matin. De A à Z. Et le Canard enchainé, le mercredi. Il regardait la télévision. Aimait les repas de famille. Voyait le monde qui continuait sa route. Son oeil devint bienveillant, ses silences étaient d'or.
Alfred a connu ses enfants qui s'en sont allés vivre loin de la terre natale, et les petits enfants, qui vivaient encore plus loin.
Il ne pensait rien de particulier. Prenait les choses à mesure. Se disait, puisqu'on le lui disait, c'est le progrès.
Le petit fils d'Alfred, Léon, avait grandi dans d'autres circonstances, d'autres lieux, d'autres réalités. Il n'avait jamais pensé que lui aussi était parti à la guerre, avait été fait prisonnier, n'avait pas vu ses enfants grandir. Cette guerre ne disait pas son nom, à sa décharge. Cette ligne de démarcation n'était pas posée en dur à travers un pont, une route, un chemin. Rien ne se voyait.
Léon, parfois, en pensant à Alfred, se disait que chacun avait la même vie. Certains avec portable, d'autres pas. Léon se demandait parfois si le grand père d'Alfred, et si le grand père du grand père d'Alfred n'avaient pas, eux-aussi, connu cette vie. Un cheval à la place d'une voiture. Des pieds à la place d'un mobile. Léon se demandait si son petit-fils et si le petit-fils de son petit-fils n'allaient pas eux aussi connaître cette vie. Autrement. Il n'avait plus peur.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Didier54 35 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte