Michel Schooyans, Au lieu de s'inscrire dans la « culture de la mort » les manipulations génétiques ne sont-elles pas orientées au service de la vie?

Publié le 30 décembre 2009 par Walterman
a) Divers projets ou propositions de loi sont actuellement discutés, concernant les manipulations génétiques. Une chose frappe d'emblée, dans ces discussions : il y est fait appel, une fois de plus, à la tactique de la dérogation : on ergote pour définir les conditions auxquelles l'embryon échappera à la protection que la loi prétend lui assurer.

Au niveau des principes, ces discussions ne diffèrent pas fondamentalement de celles qui ont précédé la légalisation de l'avortement. Elles attestent toutefois, de façon plus éclatante encore, la fascination qu'exerce aujourd'hui la culture de la mort. Le droit de l'être humain à la vie, dès ses commencements les plus secrets, est de plus en plus dépendante d'une décision procédurale... Cette décision est prise par des hommes de laboratoire disposés à considérer comme morale toute manipulation possible.

La fascination de la mort apparaît ici sous tous ses aspects. Dès son stade embryonnaire, on considère que l'individu humain n'a aucune dignité en soi ; il ne s'impose pas au respect. Ce déni de reconnaissance s'opère d'abord au plan pratique puis au plan théorique - car les praticiens s'empressent de se fabriquer des légitimations théoriques. Dès ses origines les plus cachées, la vie de l'être humain est en sursis ; l'embryon est totalement disponible… Comme l'a fait remarquer le professeur Jérôme Lejeune, l'embryon est traité comme un produit du corps humain ; il est mis sur le même plan que l'ovule ou les spermatozoïdes, alors qu'il est déjà un être humain nouvellement produit.

L'avenir de cette être est hypothétique au sens fort du mot : l'éventualité de cet avenir est totalement subordonnée à la qualité qui sera reconnue ou non à l'embryon ou à l'utilité qu'il présentera.

b) Ce double critère - qualité, utilité - est l'une des expressions majeures de la morale de seigneur, c'est-à-dire du maître fasse à son esclave… Le maître estime que, par ce qu'il est capable de susciter la vie, il est fondé à donner la mort. Cette morale de seigneur, dont nous avons relevé les sources hégéliennes…, considère que l'expression suprême de la liberté de l’être fini qu’est l'homme consiste à déployer une maîtrise aussi totale que possible sur la vie et sur la mort.

Cette maîtrise « seigneuriale » de la vie s'exprime dans diverses manifestations. Elle donne d'abord lieu à un cannibalisme cellulaire, condition préalable à la reconstruction, par le manipulateur, d'un être qui soit, en rigueur de termes, l'incarnation de son projet à lui. Elle donne lieu ensuite à un cannibalisme histologique qui - en attendant d'autres emplois - recourt aux tissus cérébraux d'enfants avortés, qu'on greffera, par exemple, à des patients atteints de la maladie de Parkinson. Elle donne lieu encore à un cannibalisme « académique » ou « scientifique » en ce sens que l'être humain sera manipulé, trituré, immolé sur l'Autel de la Recherche Scientifique placée sous le signe d'une Liberté Académique totalement libérée de toute référence morale et n'ayant de comptes à rendre à personne. Elle donne lieu en fin à un eugénisme technicisé, à l'aune duquel les eugénismes attestés par l'histoire ne sont que balbutiements dérisoires. Cet eugénisme aux performances affolantes ouvre aux praticiens de l’ultranazisme l'horizon d'une ségrégation scientifique implacable. En effet, la typologie de la sélection et de la discrimination est totalement à la discrétion des manipulateurs.

Michel Schooyans, Bioéthique et population : le choix de la vie, Le Sarment/Fayard 1994, p. 240-243