De Varanasi à Katmandu.
Sur le toit du bus, je cadenasse nos sacs à dos pendant que Nad court à la recherche d'une bouteille d'eau et de samosas. En entrant dans le véhicule, c'est déjà plein. C'est-à-dire une personne de plus par banquette et des gens partout dans l'allée centrale, assis sur la marchandise et les accoudoirs. Mon siège est celui du fond, dans le coin droit, sur la banquette à angle droit sans espace pour les genoux. La banquette qu'ils ont ajoutée en zigonnant deux planches de bois dans le coffre. Le banc où pour s'asseoir, il faut faire comme une pièce de casse-tête : prendre la forme exacte et s'insérer dans le trou entre les six autres personnes déjà assises (c'est une banquette cinq places).
Heureusement qu'aujourd'hui, nous avons de la chance. Notre fenêtre s'ouvre. Le problème, c'est qu'elle ne ferme pas. Dans la poussière, le trajet passe difficilement. Le bus arrête pour faire le plein d'essence, pour qu’un passager masculin aille aux petits coins, pour contourner une vache, pour que le chauffeur prenne un chaï, pour débarquer une petite famille ou un Allemand ne supportant plus ce bus, pour embarquer deux autres personnes ou pour livrer un colis.
C'est un bus dit direct. Ce n'est que le deuxième de trois…
Le troisième est népalais. Nous avons passé les frontières sans problème. On paye notre visa en dollars US et surtout pas en monnaie locale, puis on affronte la routine des changeurs d'argents qui essaient d'escroquer en inventant des histoires et bien sûr, les raquetteurs à billets de bus qui eux aussi, ont l'imagination fertile.
Nous prenons le bus de nuit, car on annonce une grève générale du pays le lendemain. En partant maintenant, nous pourrons arriver à Katmandu aux aurores, avant le lever des grévistes au drapeau rouge.
Sauf que dans les transports, on a la poisse. Quand ce n'est pas une rivière qui bloque une route dans un désert, la mousson qui fait déborder les cours d'eau ou une tempête en pleine mer, il y a un pont brisé entre nous et la destination finale. Ce qui veut dire que le bus ne pouvant plus avancer, nous passerons la nuit à essayer de dormir aux sons irritants des téléphones cellulaires nocturnes. Un homme plus futé que la moyenne se dit même que c’est le moment idéal pour écouter toutes les sonneries disponibles afin d’en choisir une nouvelle.
Le lendemain, la voirie a construit un pont temporaire (une digue de terre par-dessus deux tuyaux) et le trafic dégèle. Nous pouvons rouler librement pendant quinze longues minutes jusqu'au premier barrage de maoïstes. Le chef, son bâton et son armée prépubère nous répondent qu'ils ne savent pas pourquoi ils manifestent aujourd'hui. Ce qu'ils savent, c'est qu'ils n'enlèveront les pierres de la route qu'à 18h00. Pas avant, insistent-t-ils, même après négociation (pacifiste).
On s'assoit donc sur le bord de la rue et on endure le temps qui s'éternise et la vieille expatriée toxicomane et alcoolique qui nous parle de sa fille de plastique (la fille de son ex-mari qui s'est suicidé).
On se demande alors pourquoi ? Pourquoi on fait ça, nous, visiter la planète ?
Quarante heures après le départ, nous arrivons à Katmandu, la capitale. Nous sommes officiellement au Népal et encore plus officiellement pas dans un bus sale. Le ciel est dégagé, l'air est frais et le soleil est chaud. On marche à s'y perdre, suivant la foule et le vent. On atterrit par hasard dans un minuscule havre de paix ; une petite aire ouverte entre deux temples où l'on retrouve le calme perdu depuis six semaines. Le silence n'existe plus qu'aux sons des pigeons qui fendent l'air et des enfants qui rient. Un stupa décoré de drapeaux multicolores s'élève vers l'immensité. Les gens y tournent des espèces de roues et sonnent des clochettes. On ne comprend guère. On boit un « hot-lemon » visqueux. On paye avec de la nouvelle monnaie. On mange des momos parce que le nom est amusant.
Un nouveau pays à amadouer. La même chair de poule.
Ça répond à ma question.
-Will.