(De Chichicastenango, au Guatemala) "Les vacances scolaires? Non monsieur, connais pas..." Lluna, une Guatémaltèque âgée de 10 ans, vendait mercredi un quotidien national sur le marché de "Chichi", petite ville de l’Altiplano. Le Pensa Libre donnait en sondage l’ex-général Otto Perez Mollina vainqueur du second tour de l’élection présidentielle ce dimanche.
Porté par l'électorat de la capitale (16% de la population totale), le candidat de la droite nationaliste (Partido Patriota, PP) battrait de six points son adversaire social-démocrate Alvaro Colon (Unidad nacional de la esperanza, UNE). Près de 5,9 millions d’électeurs sont attendus dimanche pour désigner le chef de l’Etat, les députés et maires.
"Mon job dure une semaine", reprend Llula. "Après je retournerai à l’école. Mais d’autres enfants font ce travail toute l’année". Professeur dans l’école maya Itzat, Mario Léon Cortez estime que le taux de scolarisation dans la région est inférieur á 20%:
"Ici, la plupart des gosses bossent, souvent sur les marchés. Je suis un professeur sans diplôme! Sans aller á l’école, je me suis débrouillé pour apprendre á lire. Ma mère a fait onze enfants, c’est à peu prés la moyenne. Il fallait ramener des quetzals (la monnaie nationale), s’aider."
"Il faut grandir dans la capitale pour avoir une chance de s'en sortir"
L’exclusion prématurée des salles de cours est l’un des thèmes du débat présidentiel. Mais l’insécurité reste le sujet favori des candidats. Mario décrypte:
"Cette élection ne changera rien. Les candidats ont à peu près les mêmes plans d’action. Je ne vois pas de futur pour les gamins de nos campagnes. Il faut grandir dans la capitale pour avoir une chance de s’en sortir."
A voix basse, Mario accuse: "Le système scolaire est pourri par la corruption de nos dirigeants. Ils se font réélire avec l’argent public."
Dans la récente République guatémaltèque -les premières élections ont eu lieu en 1999-, l’école primaire est gratuite. Mais son budget est (entre autres) détourné par les gouverneurs régionaux, logés dans la capitale. Et eux-mêmes tribuns des futurs candidats à la présidentielle.
"Le 'gobernador' du coin, on ne sait même plus comment il s’appelle! Son surnom c’est Bulux", prévient une bénévole de l’école Itzat, élève infirmière. "Il a un délégué local, en général le maire, qui vient dire aux gens pour qui voter. Ce dernier monnaie ses consignes. On l’a vu dans le quartier avant hier."
Cette semaine encore, les électeurs illettrés d’Itzat reçoivent des tracts, en forme de bulletins de vote simplifiés. Celui qui représente Alvaro Colom, favori en terres mayas del Quiche, est vert. A côté de lui, son adversaire tient dans une ombre... sans que son nom soit mentionné.
"Le système national n'est pas bon"
Doublée d‘une galerie, l’école d’art fournit aux élèves leur matériel de dessin. Ce qui est rare. La trentaine de têtes apprennent aussi à cliquer. Dix ordinateurs ont été achetés grâce aux donations d’une fondation américaine
Au sud de l’Altiplano, sur les bords du lac Attitlan, 10% des jeunes vont à l’université. Des initiatives locales visent á surcontrer cet échec social. A San Pedro, le centre Taa´Pit´Kortees fait le court du soir á quarante-cinq enfants, sur environ deux mille. Indépendants mais sans fonds propres, ses intervenants corrigent le tir:
"On leur apprend l’anglais et l’informatique. Le système national n´est pas bon, lance Juan Martin, car les programmes sont trop techniques. Il protège ainsi les politiques de la contestation."
Samuel, un prof syndiqué de l’école Casa Rosario, proteste:
"Je travaille avec une majorité d’enfants souffrant de malnutrition. Une famille de dix a besoin d’au moins 18 quetzals [18 euros, ndlr] par semaine. Beaucoup sont loin du compte. Et les rejetons n’ont que peu de chances d’améliorer leurs conditions de vie: l’éducation nationale ne leur donne que des rudiments."
Une cinquantaine de militants politiques assassinés pendant la campagne
La femme d’un fonctionnaire de l’école publique de San Pedro, Cecilia, tient à me rencontrer. Elle dénonce:
"Dans l’administration, la situation dans empire. J’affirme que la maire de la ville, Guillermo Batza, s’arrange avec une famille de restaurateurs pour privatiser les cours. Pour ex c’est juteux. Pour les personnels, ça sent le roussi: mon mari a perdu son embauche fixe, pour contrats d‘un ou deux ans, au choix."
Au Guatemala, le taux de pauvreté dépasse les 75%, selon la Fédération internationale des droits de l'homme. Les électeurs diront dimanche si le pays retrouve un chef d’Etat issu des instances militaires. Ou s’ils préfèrent un homme d’affaires. L’un comme l’autre sera d’abord élu pour lutter contre les violences urbaines (près de 6 000 homicides en 2006). Au cours de cette campagne électorale, onze ans après la guerre civile, une cinquantaine de militants politiques ont été assassinés.