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Un conte de Noël (suite)

Publié le 29 décembre 2009 par Feuilly

Mais revenons à cet enfant, car c’est lui le sujet de notre histoire. Des parents souvent absents, un soupçon d’illégitimité sur les épaules, il ne pouvait que tourner mal, par réaction. Et puis avec tout ce qu’il entendait comme rumeur sur sa génitrice, il n’y avait pas de raison qu’il la respecte. Alors il faisait les quatre cents coups, un peu par malice, un peu pour attirer l’attention. Ses copains le méprisaient car ils savaient qu’il n’y avait pas beaucoup d’argent chez lui et ils ne se privaient pas de lui dire comment sa mère arrondissait les fins de mois. Le lieu de sa naissance avait même donné lieu à une légende. On prétendait qu’il était né dans une ferme à l’abandon. Et tout le monde de rire en imaginant le bébé coincé entre les ânes et les bœufs, tout nu sur la paille et maculé de bouse de vaches. Lui, à la longue d’entendre toutes ces méchancetés, s’était endurci et il avait même fait de sa pauvreté légendaire la base de sa réputation. D’accord, il n’était qu’un bâtard, mais un bâtard qui savait ce qu’il voulait. A douze ans il était ainsi devenu un chef de bande respecté, qui avait su asseoir son autorité sur sa seule valeur et non sur un quelconque prestige familial.

Il organisait de petits vols dans les magasins et revendait sa marchandise en douce. Pour l’aider dans cette entreprise, il avait donc constitué une petite équipe de quatre garnements lesquels lui vouaient une admiration sans borne. Il faut dire qu’il savait s’y prendre pour imposer son point de vue et même devant les autorités il ne baissait pas la tête. Ainsi, une fois qu’un commerçant, le soupçonnant de quelque larcin, l’avait conduit devant un prêtre, afin qu’il lui fasse la morale, il était parvenu à détourner la conversation et à orienter le débat sur des questions religieuses. A la fin, ils étaient au moins dix prêtres à discuter, le livre sacré ouvert devant eux, mais lui n’était pas du tout impressionné. Au contraire, il argumentait à partir des extraits qu’on lui lisait et il aurait fini par convaincre tout le monde que le vol était légal car Dieu voulait que tous les hommes, ses enfants, soient traités sur un pied d’égalité. Or certains sont riches, disait-il et d’autres sont pauvres et cela par la faute de la société. Jamais l’Etre suprême n’a pu vouloir une telle situation. En volant, concluait-il, je ne fais que rétablir l’équilibre au profit des plus pauvres, autrement dit des gens comme moi. Les prêtres, bien entendu, étaient offusqués en entendant de tels propos et ils cherchaient dans leurs écrits un passage qui prouvait que Dieu non seulement autorisait la richesse mais même qu’il préférait les personnes riches et honnêtes aux misérables pauvres et chapardeurs. Le problème, c’est qu’un tel passage, ils avaient du mal à en trouver un dans le livre de la Loi et lui, pendant ce temps-là, il continuait à argumenter et à tenter de prouver que Dieu ne pouvait pas approuver une richesse acquise malhonnêtement, sur le dos des plus pauvres, même si cela s’était fait légalement. A la fin, quand ses parents, qui une fois de plus étaient à sa recherche, le retrouvèrent, il était assis tranquillement au milieu des grands prêtres, pendant que ceux-ci se disputaient méchamment sur la manière dont il fallait interpréter le texte sacré. Rien d’étonnant, après de tels exploits, qu’il suscitât l’admiration chez les petits voyous de son espèce.

Plus tard, comme on s’en doute, il a assez mal tourné. Comme il n’aimait pas trop le travail et qu’il avait été habitué à obtenir de l’argent facilement, il a continué dans cette voie. Au lieu de se trouver un métier honnête comme son père, il a préféré courir les chemins et vivre d’expédients. En fait, adulte, il a reproduit ce qu’il avait déjà fait enfant, c’est-à-dire qu’il a débauché quelques pêcheurs illettrés et un peu naïfs pour se constituer une petite cour de fidèles qui l’aidaient dans ses entreprises louches. Dans un premier temps, ils avaient vécu de rapine, mais très vite il comprit qu’ils finiraient tous par avoir des ennuis avec les autorités s’ils persistaient dans cette voie. Alors, plus subtilement, il s’est fait passer pour une sorte de mage, qui savait prédire l’avenir. Il rentrait dans les villages avec toute sa troupe et il se mettait à haranguer les foules, parlant de Dieu et de ses bienfaits qui tardaient un peu, en effet, à se manifester, puis il rassurait tout le monde en expliquant que tout cela n’était qu’une question de temps et que bientôt les pauvres n’auraient plus faim tandis que les riches tireraient le diable par la queue. Les gens l’écoutaient, mi-amusés, mi-intrigués, mais finalement, au fond d’eux-mêmes, tout ce qu’il disait là leur plaisait bien. Cela signifiait que sans s’en rendre bien compte lui-même, notre brigand se transformait en agitateur politique et qu’après son départ les villageois se mettaient à rêver d’un monde meilleur, où la vie serait plus facile et surtout plus juste.

(à suivre)


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