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Paul Jorion

Publié le 29 décembre 2009 par Jplegrand

L'économiste américain qui avait prévu la crise actuelle nous parle de Karl Marx

Effacer son nom

S’il y a bien une question que l’on me pose souvent, c’est « Pourquoi les économistes n’ont-ils pas prévu la crise ? » Et j’ai l’habitude de bâtir ma réponse en pensant a contrario aux raisons grâce auxquelles j’ai pu personnellement la voir venir : parce que j’étais employé au cœur-même de l’industrie où cette crise avait son origine : c’est-à-dire dans l’immobilier résidentiel américain.

J’ai cependant repensé à cette question en retombant par hasard sur un débat qui avait lieu dans les années 1980 : le débat relatif à ce qu’on appelait alors la « physique qualitative ». Qu’est-ce que cela veut dire ? La physique qualitative s’oppose à la physique ordinaire, qui est elle comme on le sait, essentiellement « quantitative ». Elle lui reproche de ne pas s’intéresser aux transitions, c’est-à-dire aux changements qui ont lieu dans les systèmes. Dans le cas d’une machine à vapeur par exemple, le modèle néglige le fait qu’elle pourrait exploser. Et du coup, selon la physique « quantitative » ordinaire, il n’est pas nécessaire qu’il y a ait une valve. Et c’est le même type de situation que l’on rencontre en économie : nous avons construit des modèles où rien n’indiquait que la machine économique pouvait exploser. Le cas est-il le même que celui de la physique ? Non, pas vraiment : parce que quelqu’un avait pensé à ces transitions qui peuvent déboucher sur une catastrophe. Mais, malheureusement pour la science économique, le fait que le système puisse exploser, faisait plutôt plaisir à cet économiste. Et du coup, personne ne voulait entendre parler de ce qu’il avait à dire.

Cet économiste, c’est Karl Marx évidemment. Mais comme il se conduisait en malotru qui ne s’intéressait au capitalisme que parce qu’il lui semblait condamné à terme, la « science » économique a préféré couler une dalle de béton sur le nom de Karl Marx et sur sa proposition sacrilège que le capitalisme pouvait avoir une fin.

Et tout s’arrangeait de cette manière. On était de nouveau entre soi, entre gens de bonne compagnie, à l’abri des malpolis qui interrompent les conversations. La fin possible du capitalisme avait été, comme disent les psychanalystes : « refoulée ». Malheureusement, et comme ils le savent très très bien, le refoulé revient toujours. Et quand il le fait, ce n’est pas indolore : il trouve toujours le moyen de faire payer chèrement son absence forcée. Et pour paraphraser une expression dont il fut lui-même l’auteur : « Un spectre hante la science économique et c’est le spectre de Karl Marx ».
Paul Jorion

L'auteur de ces lignes est un ancien trader, universitaire, spécialiste de la finance, anthropologue, chercheur en intelligence artificielle,

Il s'installe aux Etats-Unis  en 1997 et y travaille dans les milieux financiers. Il publie en 2003, Investing in a Post-Enron World, un ouvrage en anglais relatif aux répercussions pour les marchés boursiers de la faillite de la compagnie Enron. Il publie ensuite une série d'articles consacrés aux implications sociales et politiques du système financier américain. De 2005 à 2009, il est chercheur associé du Programme Inter-Départemental "Human Complex Systems" de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). En 2004, il rédige La crise du capitalisme américain qu'aucun éditeur français ne veut alors éditer. En 2005, la revue Mauss publie l'introduction de l'ouvrage. Finalement, c'est en 2007,Alain Caillé, informé de l'intérêt de Jacques Attali , édite le livre aux éditions La Découverte en le réintitulant euphémistiquement Vers la crise du capitalisme américain Paul Jorion y annonce la crise des subprimesqui se révèlera au grand public effectivement quelques semaines plus tard. Il publie ensuite en mai 2008, L'implosion. La finance contre l'économie : ce qu'annonce et révèle la crise des subprimes où il décrit et explique le déroulement de la crise des subprimes .

Depuis quelques années, il anime un bl blog  dans lequel il traite surtout de matières économico-financières avec un regard anthropologique


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