Magazine Cinéma
J’ai grandi en vouant un culte au Parrain, en reprenant en chœur le refrain de Peggy Sue s’est mariée, et en frissonnant devant Dracula. Avant de m’intéresser véritablement au cinéma, Coppola faisait déjà partie de mon quotidien (combien de fois ai-je regardé Peggy Sue en VHS alors que j’étais à peine ado ?).
J’ai commencé à devenir un peu plus qu’un spectateur lambda en 1996 (c’est fou comme il est facile de dater certaines choses), soit l’année où Coppola réalisait ce qu’on a longtemps craint être son ultime long-métrage, L’idéaliste. Car au moment où le cinéma entrait en tourbillonnant dans ma vie, Francis Ford, ce maître d’œuvre de mes jeunes années de spectateur, glissait vers la préretraite. Certains pensaient même certainement qu’étant donné ce que le cinéaste nous avait offert au cours des années 90, ce n’était peut-être pas plus mal…
Le jour où il fut annoncé que Coppola retournait derrière la caméra pour tourner L’homme sans âge arriva pourtant sans crier gare. Au passage, le grand nom d’Hollywood tournait le dos aux studios et se posait en indépendant en Europe de l’Est pour confectionner son film retour, un petit bijou de cinéma fantastique ancré dans l’histoire, jouant avec le continuum spatio-temporel avec la passion d’un jeune homme.
Le voir revenir si vite pour un second film dans cette nouvelle carrière qui est la sienne ne pouvait que susciter l’attente, surtout après la réussite artistique de L’homme sans âge. L’attente a été comblée par Tetro. L’attente a été comblée par un film qui confirme que Coppola s’est détaché de toute sécurité, s’est éloigné de tout filet de sécurité pour désormais faire son cinéma.
S’il demeure clairement un film de Coppola, tant on décèle derrière cette fascination pour les figures paternelles écrasantes et fascinantes un trait indubitable des obsessions du cinéaste, Tetro se tisse avec une souplesse et une audace digne d’un film expérimental. Coppola se soucie de réaliser l’œuvre qu’il a en tête et rien d’autre, une œuvre avec un O majuscule, loin de toute aspérité commerciale, de toute concession visuelle ou narrative.
Son film est un éclair, l’histoire d’un jeune homme débarquant à Buenos Aires pour retrouver ce frère aîné qui a lâché la famille des années plus tôt, fuyant l’ombre paternelle imposante pour se renouveler là où personne ne le connaissait. A partir de cette chronique familiale, de ces retrouvailles joyeuses et douloureuses à la fois, Coppola laisse sa fascination pour la lumière prendre le pas sur tout le reste. C’est la lumière qui est le cœur de Tetro. Visuellement tout d’abord, par ce sublime noir et blanc ponctué de flashbacks colorés, un noir et blanc cherchant toujours à mettre les jeux de lumières en valeur. Les reflets se laissent apercevoir, les ombres s’étalent et prennent vie, les éclairs de lumières sont exploités dès que l’occasion se présente.
Mais la lumière c’est aussi le thème central du film. La lumière imposée par un père artiste renommé, la lumière qu’il attire à lui, volant celle de tous ses proches, ne leur laissant que l’ombre pour s’épanouir difficilement. De la part de Coppola, fils de musicien et patriarche renommé lui-même, cette histoire, son premier scénario original depuis des années, a une signification à n’en pas douter toute personnelle. Pourtant dans ce barrio de Buenos Aires, dans ce quartier défraichi, bohème, ce n’est pas un film centré sur lui-même qui se joue, mais une petite musique à la lumière incandescente, un feu cinématographique irradié par la présence féline et bien trop rare d’un Vincent Gallo encore plus subjuguant lorsqu’il est filmé par Coppola en noir et blanc.
Francis Ford Coppola a 70 ans, et tout ce que je souhaite, c’est qu’il continue à retrouver une jeunesse cinématographique de film en film, tel l’homme sans âge qu’il semble lui-même devenu.